Meute de coyotes et poursuite automobile: le son de DJDS
Le duo de Los Angeles parle de sa coproduction pour Kanye, de tensions sonores et d’échantillonner l’atmosphère sombre et étrange de la ville
- Entrevue: Molly Lambert
- Photographie: Zhamak Fullad
- Stylisme: Keyla Marquez
- Coiffure et maquillage: Sydney Costley
- Assistant styliste: Kaira Roos

Au dernier étage d’un immeuble des années 30, à proximité du quartier coréen de L.A., les producteurs Sam Griesemer et Jerome Potter de DJDS (autrefois connus sous le nom de DJ Dodger Stadium) travaillent sur un nouveau projet musical. Leur collaboration a vu le jour en 2011, époque où ils ont fondé la maison de disque Body High et se sont fait connaître avec The Life Of Pablo de Kanye, pour qui ils ont coproduit «Ultralight Beam» et «Fade», et d’autres pistes à haute intensité émotionnelle.

En vedette dans cette image : chemise à boutons AMI Alexandre Mattiussi, jeans Gucci, chemise à boutons Issey Miyake Men et jeans St-Henri. Image précédente : t-shirt Blue Blue Japan, jeans Balenciaga, chaussettes Calvin Klein 205W39NYC, baskets Reebok Classics, t-shirt Bianca Chandon, pantalon AMI Alexandre Mattiussi et bottes Lanvin.
L’émotion caractérise le son de DJDS; le duo s’intéresse aux ambiances nostalgiques, de rupture, de désir et d’optimisme. Leur nouvel album, Big Wave More Fire, ressemble à une collection de pièces réalisées avec des collaborateurs comme The Dream, Kacy Hill et Kevin Drew de Broken Social Scene. La grosse vague du titre nous porte. C’est dans cet appartement, qui a déjà été celui de Griesemer, mais qui sert maintenant d’espace studio, que le duo se rencontre chaque jour à 11h. Un diffuseur Muji projette une brume parfumée dans un coin. Ils me donnent un paquet d’encens à édition limitée – ils ont fait faire leur propre mélange maison, à l’odeur de brume fraîche des forêts.
Aujourd’hui, une séance photo a lieu dans le petit appartement de DJDS. Il y a des gens partout, des vêtements de designer dans la pièce d’à côté. La styliste présente à Potter et Griesemer des looks décontractés, ils hochent de la tête en signe d’approbation. Elle leur présente d’abord des styles sport, puis une sélection plus tape-à-l’œil, comme des ensembles Gucci assortis, à motif multicolore de gros chats, que la marque a nommé «angry panther». Je leur ai demandé s’ils avaient déjà porté des vêtements de haute couture auparavant, tous deux font non de la tête. Des chaussettes montantes sont disposées sur un bureau. En prenant les vêtements Gucci, Griesemer, dans un soupir d’émerveillement dit: «Wow, comme les Migos».
Je me suis assise avec les DJDS et nous avons parlé de leur nouvel album, de Los Angeles et de bande sonore de poursuites automobiles pour la télé.

Sam Griesemer porte t-shirt Blue Blue Japan.
Molly Lambert
Sam Griesemer (SG) Jerome Potter (JP)
Pourquoi le Big Wave More Fire?
SG: Cette phrase a fini par représenter le moment où l’album commençait à prendre forme et les choses à s’agencer, des choses qui étaient vraiment différentes et, d’une certaine façon, d’un autre monde. Nous avons essayé quelque chose avec cet album que, je crois, nous faisons depuis nos débuts ensemble, qui est de rassembler tout ce qu’on aime de la musique. Nous ne l’avions pas réalisé avant, parce que nous n’étions pas d’assez bons producteurs et auteurs. La meilleure façon de le décrire, je pense, c’est comme entendre Kevin Drew de Broken Social Scene sur 808s…
JP: Et ta voix.
SG: Surtout, sa guitare et 808s. C’est un exemple direct de ce qu’est devenu Big Wave More Fire, tu vois, ça ouvre simplement à autre chose. C’était toujours là et ça semble vraiment simple, mais c’est comme «C’est ça, c’est exactement ce qu’on essayait de faire».
Sam, est-ce que c’était la première fois que tu chantais sur quelque chose?
SG: En fait, non. Il y a eu ce truc sur lequel on avait travaillé pour Kanye après Pablo, on a fait une bande sonore pour Yeezy Season 4. Il voulait qu’on fasse la bande sonore et son concept était qu’il voulait une démo avec The Dream qui chante la chanson «Bed», que The Dream a écrite, et il en voulait une version de 20 minutes. Il nous a donc envoyé les a capella originaux de The Dream et une idée de son de basse et il a dit: habillez-le, faites ça long. Nous avons donc fait ce long truc d’ambiance et j’ai fait une piste de voix, non créditée.
JP: Parce que, c’est vraiment comme ça que nous avons commencé.
Êtes-vous un band d’improvisation?
SG: Seulement en studio. Nous sommes à l’opposé du band d’improvisation.
JP: On n’est probablement pas d’assez bons musiciens pour ça.
SG: Nous sommes plus le type de producteurs qui travaillent vraiment fort pour que ça ne semble pas travaillé, pour que ça semble naturel. Quelqu’un nous demandait quel élément a été le plus difficile sur l’album et Jerome a dit, «Sam, définitivement».
JP: C’était un processus d’apprentissage pour nous.
SG: Il m’a encouragé à chanter.

Jerome Potter porte chemise à boutons Issey Miyake Men.
Quand avez-vous parlé à Kanye pour la dernière fois
SG: Il y a probablement un an? Nous étions hors orbite. Mais depuis nous avons travaillé avec d’autres BONS musiciens. Comme The Dream et Kacy Hill.
JP: C’est un élément important: on s’est retrouvé à travailler avec des gens qu’on admire.
Vous sentez-vous plus minimaliste ces jours-ci?
SG: Nous l’avons pas mal toujours été.
Pensez-vous parfois à aller dans l’autre direction?
JP: Comme mettre du bruit partout?

Sam Griesemer (gauche) porte chemise à boutons Saint Laurent et jeans Gucci. Jerome Potter (droite) porte cardigan Gucci et pantalon de survêtement Gucci.

Jerome Potter (gauche) porte cardigan Gucci, pantalon de survêtement Gucci et baskets Prada. Sam Griesemer (droite) porte chemise à boutons Saint Laurent.
Comme avoir un orchestre.
JP: Ça revient aux enregistrements en direct. Si vous avez un band dans une pièce, vous n’avez pas nécessairement à ajouter d’autres sons. Tout doit être là pour une raison. C’est une chose à laquelle on aspire toujours. Et faire de la musique qui comporte une tension. La suffisance est ennuyante.
SG: La semaine de la sortie de l’album, j’étais nerveux en pensant à ce à quoi devrait ressembler le prochain album. Parce que je me disais qu’on devait faire un bond en avant.
Quand un album sort, après, votre boulot est fait. Est-ce que vous travaillez sur quelque chose de nouveau en ce moment?
SG: On a travaillé sur beaucoup de choses. On est sur un projet. Connais-tu Burna Boy? Nous faisons un EP dans lequel il fait les vocales et nous on le produit en entier.
JP: On admirait son travail pendant un temps. Sam m’a montré une app géniale, qui te permet d’écouter les radios de partout dans le monde.
SG: Radio dot Garden.
JP: Au Mexique, nous écoutions le Top 50 de Spotify et c’était que de la bombe.
Avez-vous été au Grammies?
SG: Oui, il y a quelques années, nous y sommes allés et perdus, Drake l’a emporté, pour «Hotline Bling».
JP: Et ils ne servent que de l’eau! Il y a tous ces gens en smoking dans un stade sportif, sans nourriture. Ils ne servent que de l’eau.
SG: Rihanna est passé près de nous en sortant.
JP: C’était le clou de la soirée.
Comment avez-vous choisi vos collaborateurs pour Big Wave More Fire?
SG: C’est intéressant pour nous de travailler avec des gens qu’on aime vraiment et de les avoir un peu plus dans notre monde. Comme ce truc avec Burna Boy. Quand on a commencé, on ne savait pas vraiment ce qu’il voudrait faire. Il a simplement pris tous les sons sombres et futuristes que nous lui faisions entendre.
«Quand tu tournes sur une rue résidentielle et qu’il y a une meute de coyotes. Bizarrement, [notre musique] sonne comme ça.»

Jerome Potter (gauche) porte chemise à boutons Gucci, shorts Gucci, chaussettes Gucci et baskets Prada. Sam Griesemer (droite) porte pull à capuche Gucci, pantalon de survêtement Gucci, chaussettes Gucci et sandales Gucci.

Jerome Potter porte chemise à boutons Gucci et shorts Gucci. Sam Griesemer (droite) porte pull à capuche Gucci et pantalon de survêtement Gucci.
Êtes-vous généralement plus attirés par les sons plus sombres?
JP: Nous préférons la nuit au jour, probablement.
SG: J’aime les deux. J’ai entendu quelque chose que PartyNextDoor a dit au sujet de la chanson «Work», qu’il a écrite pour Rihanna. Il a dit, c’est une chanson triste, un blues. Quand tu l’écoutes et portes attention aux paroles, c’est super triste.
Est-ce votre collaboration de rêve?
SG: Oh définitivement.
Quelles sont vos premières inspirations?
SG: Comme lire The Source du début à la fin. J’aimais vraiment tout ce qui est entraînant. «Mo’ Money Mo’ Problems» quand c’est sorti. J’étais obsédé par Bad Boy. Et puis quand j’ai découvert Cash Money, je me suis dit c’est encore meilleur.
Je me souviens de la première fois que mon frère a fait jouer une piste de Cash Money pour moi, j’étais comme «on dirait que ça a été fait dans un camion», et il a dit: «Exactement!»
JP: C’est un peu l’effet que fait Playboi Carti en ce moment. Son dernier album est comme sorti d’une Civic, ce qui en fait un son vraiment unique. C’est tellement cohérent. Il y a différentes façons de mettre en valeur l’aspect brut.
Comme ces vidéos YouTube, avec la musique jouée dans une autre pièce.
SG: C’est sûrement parce qu’ils arrivent au studio après être sortis toute la nuit en boîte. Tu as le relâchement, l’énergie, le plaisir, mais derrière tout ça, c’est comme «ouais, le mec à fumer des joints et pensé à ce truc pendant neuf heures pour le rendre parfait».
Vous êtes tellement L.A. pour moi. Avez-vous l’impression de représenter L.A. musicalement?
SG: Complètement. Quand tu tournes sur une rue résidentielle et qu’il y a une meute de coyotes. Bizarrement, [notre musique] sonne comme ça.
«On a tous grandi avec les poursuites automobiles de KCAL 9.»
Big Wave More Fire me fait vraiment penser à ça. C’est un titre à la Joan Didion. Comme, ouais, c’est le genre de choses qui peuvent arriver à Los Angeles et qui peuvent la détruire.
SG: Dédicace à Joan Didion. Il y a ces moments pop, mais ça sonne toujours un peu plus voilé et sombre.
C’est de la musique de course-poursuite.
JP: On a tous grandi avec les poursuites automobiles de KCAL 9.
Est-ce que vous pensez à la façon dont la musique sonnera dans une auto?
JP: Sur certaines chansons, on fait comme des centaines de versions différentes. Chaque soir, on fait un test en auto.
SG: On l’a appris en travaillant avec Mike Dean, qui est le favori de Kanye, comme tu le sais, j’en suis certain. Nous sommes fiers de notre adaptabilité. Il y a ceux qui écoutent la musique dans des autos qui ont de bons systèmes ou des systèmes pourris, ceux qui l’écoutent sur leur cellulaire.
JP: Sam a une Honda FIT sans haut-parleur. Le son, c’est subjectif. Dans les années 50, on ne faisait pas des chansons en pensant que les gens l’écouteraient sur leur iPhone.

Sam Griesemer (gauche) porte t-shirt Blue Blue Japan, jeans Balenciaga, chaussettes Calvin Klein 205W39NYC et baskets Reebok Classics. Jerome Potter (droite) porte t-shirt Bianca Chandon, pantalon AMI Alexandre Mattiussi et bottes Lanvin.
Est-ce que vous travaillez sur de la musique que vous lancerez bientôt?
SG: L’EP de Burna Boy. Tu dois sortir quelque chose tous les ans environ, sinon on t’oublie. Sauf si tu es Frank Ocean, c’est correct.
JP: On l’a appris d’autres personnes, et on l’a développé – c’est juste une éthique de travail, être en studio.
Avez-vous des projets mainstream ou pas du tout?
SG: Mainstream?
Êtes-vous payés pour entrer en studio et travailler sur une chanson de Katy Perry?
JP: Pas Katy Perry, mais oui, c’est sûr. On a travaillé avec Khalid sur son album. Avec lui, on a fait deux des chansons de notre album en trois jours.
SG: Ce qui est parfait, c’est qu’on a nos propres projets, on fait exactement ce qu’on veut avec DJDS. On a aussi fait pas mal ce qu’on voulait en produisant pour d’autres, mais avec DJDS, on n’est pas désespérés.
JP: Nous savons tous qu’il y a un son pop Spotify, un son 2018.
Comme un conglomérat de tous les sons.
SG: Je pense que ça garde notre musique intéressante des deux côtés.
Avez-vous officiellement décidé de devenir DJDS?
SG: Devrions-nous parler de ça? Je ne sais pas si on peut légalement. On a reçu une mise en demeure des Dodgers.
JP: Allez-vous nous aider à leur écrire une lettre?
Molly Lambert est une rédactrice de Los Angeles.
- Entrevue: Molly Lambert
- Photographie: Zhamak Fullad
- Stylisme: Keyla Marquez
- Coiffure et maquillage: Sydney Costley
- Assistant styliste: Kaira Roos