L’esprit des fêtes est-il déplaisant? Michael the III enquête

Le rédacteur, mannequin et grand buveur de lait de poule explore la zone grise qui sépare les enthousiastes des rabat-joie.

  • Photographie: Michael the III
  • Texte: Michael the III

Pour plusieurs, les fêtes évoquent la neige folle, le chocolat chaud, les bûches crépitant dans le foyer, les montagnes de cadeaux et leurs choux festifs. Mais, il y a un revers à cette saison de l’allégresse que Starbucks ne rend pas tout à fait: le père Noël est probablement un dépravé; la neige se transforme en slush grise; les réunions de famille sont, disons-le, souvent déprimantes. Derrière chaque réjouissance se cache une possible infortune, et compte tenu de la pression sociale qui accompagne les fêtes, toute cette réjouissance a le potentiel d’être… indigeste.

Malgré tout, je fais preuve d’un grand enthousiasme. La source de mon allégresse est encore à définir, mais je suis convaincu qu’elle est sincère. Si quelqu’un me dit «Michael, tes yeux pétillent», je réponds «mêle-toi de tes affaires». Pour être honnête, ma belle humeur décline depuis la puberté, mais ça ne concerne que mon psy. Je me répète: «C’est le meilleur temps de l’année… été non inclus

Mais est-ce que l’esprit des fêtes (un état de jubilation caractérisé par l’attrait euphorique de l’esthétiquement repoussant, une envie insatiable de dessert et la manie de référer au père Noël comme s’il existait) est aussi déplaisant qu’on le dit? Il est vrai que j’aurais pu jouer «Falalalala» un peu moins fort sur ma clarinette basse le soir du réveillon, mais blâmons le son, pas l’entrain. Même chose pour la “situation” que j’ai créée au bureau des passeports en décembre dernier, quand j’expliquais avec passion à l’agent que mes yeux ne sont pas bruns, «ils sont noisettes». Je réalise maintenant comme les gens moins sensibles à la richesse du vocabulaire ornemental peuvent trouver cela exaspérant, mais était-ce le climat festif ou leur compréhension limitée de la théorie des couleurs qui alimentait leur courroux? La réponse me semble aussi évidente qu’un cadeau emballé à la va-vite: l’esprit des fêtes n’est pas pénible. Mais les souhaits qui les accompagnent, la paix sur terre et tout le reste, c’est à voir et j’entends le découvrir.

Je remonte à la source de l’esprit des fêtes: les magasins. Le tumulte étourdissant du centre commercial me fait l’effet d’une grande foire – j’en suis venu à me demander qui suis-je, où vais-je? La réponse, évidemment, était “Michael the III” et “Williams-Sonoma”. Partout où j’allais, les gens me semblaient amers, et pas délicieusement amer comme dans “je veux bien un negroni”. On me poussait, on me bousculait, on me brusquait – et si vous croyez que ce sont des synonymes, c’est que vous n’avez pas mis les pieds au centre commercial depuis longtemps, je me trompe? Un enfant m’a jeté sa canne de Noël à demi dévoré en plein visage, me perçant presque l’oreille à un endroit où je ne veux pas de boucle d’oreille. Au loin, des inconnus toussaient bruyamment (sans se couvrir la bouche). Un jeune employé du babyGap m’a dit: «Bonne journée!» Bref, c’était l’horreur, mais il vaut parfois la peine de souffrir un peu, surtout si ça permet d’accéder à la source originelle de l’esprit des fêtes.

J’ai joué des coudes pour me rendre à l’atelier du père Noël sur le grand espace couvert de tapis. Je manquais d’air, heureusement, il y avait une brise de menthe poivrée rafraîchissante. Alors que je prenais place dans la file, j’ai senti la bonne volonté refaire surface sur mon visage, et mes fesses. Je peux affirmer que le père Noël est charmant, mais différent de ses photos. Les mauvaises langues diront que c’est un voyou barbu, mais je préfère le voir comme une éponge poilue. Tandis que j’étais juché sur ses genoux, j’ai remarqué une irritation collective grandissante. «Ça fait des heures que tu es là», me cria-t-on. Je n’avais confessé que la moitié de mes péchés et j’étais loin d’être arrivé à la meilleure partie. «Allons, détendez-vous un peu», m’écriai-je, d’un ton optimiste. Selon les règles qui guident mon expérience, je dois promouvoir l’esprit des fêtes en tout temps. Malgré cela, ils n’ont su que se lamenter. «Où est votre gaieté? Vous devriez tous être tellement plus gais».

L’esprit des fêtes est une véritable énigme, si vous voulez mon avis. Même le plus jovial d’entre nous a ses irritants. Il y a Barbara, la femme de mon immeuble qui décore sa porte, mais qui roule les yeux devant des biscuits boule de neige aux amandes, parce qu’ils sont «ridicules». M. Khoury, mon ancien professeur, m’a confié dans une lettre qu’il adorait les bas de Noël, mais exécrait la vue d’un arbre coupé et illuminé simplement à des fins de décoration. Je lui ai répondu ceci: «Entrer dans une pièce où plusieurs lumières sont allumées m’effraie un peu aussi.» George, un pur inconnu rencontré à l’épicerie, avec qui je me suis disputé la dernière pomme grenade, m’a expliqué que les gens qui tentent de lui voler ses pommes grenade (une inquiétude répandue, le rassuré-je) l’énervaient. Et moi? Je haïs les lutins. Tout le monde s’en fout qu’ils ont des petites oreilles naturellement pointues; il y a des filtres pour ça maintenant sur Instagram.

Bon, d’accord, j’aime les lutins. Ils sont tellement drôles! J’en ai d’ailleurs déjà fréquenté un (celui que je hais). Il s’appelle Chuck. Il faut dire que Chuck n’est pas comme les autres lutins: 1,95 mètre, né à Miami. Il a de grosses mains malhabiles, ça me surprendrait qu’il puisse fabriquer de beaux jouets. Il ronfle. Mais il faut lui donner ceci: il porte bien le collant. Ça avait tellement bien commencé. Derrière le cinéma, nous étions couchés sous les étoiles (en l’occurrence, Julia Roberts et Bruce Willis). Nous nous sommes embrassés passionnément et, si vous me passez l’expression, c’était tellement festif. J’ai sacrifié tant de choses pour mon Chuck: soirées, week-ends, mon ex. Il a fini par en avoir assez de moi. «Personne ne veut savoir ce qui fait qu’un poinsettia est parfait», a-t-il dit. Et un jour, début janvier, par message texte, et sans avoir la décence de m’offrir lait et biscuits, il m’a quitté pour la seule raison que j’aurais mentionné, à peine quelques fois, que ce serait adorable s’il portait son costume toute l’année. Je déteste Chuck. Je déteste les lutins.

Les gens n’ont pas bien réagi à mon expérience. Prenez mon frère Maximum, par exemple. L’autre jour, dans le train, interrompant mon monologue sur les vertus des rubans et des emballages écoresponsables, il a dit: «J’ai décidé qu’il n’y aurait pas de lait de poule cette année.» Tel un petit renne au nez rouge espiègle, j’ai regardé ses mots passer au-dessus de ma tête. Le wi-fi ne fonctionnait peut-être pas sur son téléphone. Malgré mes efforts pour le lui cacher, il a peut-être finalement vu sa coupe de cheveux de derrière: pas mal en soi, juste un peu spécial.

En plus de la maxime «pas de lait de poule», Maximus nous a dit qu’il ne célébrerait pas du tout les fêtes. Me suis-je levé à l’aube pour décorer sa maison quand même? Est-ce que je lui chante «Sainte Nuit» tous les soirs pour l’endormir? Est-ce que je mets de la cannelle dans ses moufles pour provoquer le souvenir olfactif du jambon de Noël de tante Nicole? Bien sûr. Il dit qu’il ne veut pas de cadeaux, mais je devais lui offrir un petit quelque chose à déballer. J’espère seulement que ce ne sera pas trop pénible pour lui. De toute façon, la boîte que je lui offre est complètement vide. Je dis souvent: «Offrez des cadeaux avec intention et considération.» Je me suis longtemps interdit les formules vides du type «de quoi ont-ils besoin» ou «est-ce que ça leur plaira?» J’offre à mes autres frères des essentiels pour le ménage. Pour ma part, j’ai demandé des bottes Y/Project.

La semaine dernière, lors de l’essai routier de mon traîneau dans les quartiers voisins, la musique à fond, les grelots battant la mesure, quelqu’un a crié: «Est-ce que c’est Mozart?» «Mozart? répété-je, interloqué, c’est Hilary Duff!» Plus tard, j’étais au bord du lac et je lançais des cannes de Noël aux canards, la musique jouait à tue-tête sur la petite enceinte Bluetooth que j’ai dû acheter moi-même, merci quand même “Père Noël”. «Hey!, me crie un promeneur, qu’est-ce que tu fous! Et… est-ce que c’est le Concerto pour piano no 2 en fa mineur, opus 21, Larghetto, du virtuose romantique Frédéric Chopin?» Encore une fois, je corrige, «c’est Gift of Rock des génies du rock américain Smashmouth». De retour au centre commercial avec l’objectif charitable de régler le problème d’attitude de tout le monde en remplaçant la playlist habituelle par la mienne, j’entends un enfant demander «Est-ce la voix de Bing Crosby?». «Non, petit gars, c’est mon nouvel album, “Fruitcake” de Michael the III.» Je dois admettre que ses parents ont semblé légèrement déplus. Oups.

Michael the III porte col roulé Lanvin.

Il y a encore quelques lieux où l’esprit des fêtes persiste sans une once d’irritant. Les résidences universitaires, où des individus intelligents participent au rituel appelé “Party du pull de Noël le plus laid”, en sont un. C’est plutôt moquerie que gaieté, mais ça compte tout de même. Il y a plusieurs concours de maison en pain d’épices à travers le monde, mais, on s’entend, c’est le type d’événement qui attire des gens festifs. L’esprit des fêtes demeure bien vivant dans le cœur des enfants, comment faire autrement quand on croit être surveillé par un mec qui vit quelque part au Pôle Nord. [Si vous lisez ceci sur un ordinateur avec un ruban pour masquer la caméra, félicitations, vous aussi êtes de la catégorie des gens festifs.] Et finalement l’ultime destination de l’esprit des fêtes: le party de bureau. Là où les flirts se concrétisent, la nourriture est gratuite et les cocktails coulent à flot. L’absence de membres désagréables de notre famille en fait l’environnement idéal pour une soirée dépourvue de drame et donc débordante d’allégresse.

Michael the III porte chemise Sies Marjan et pantalon Sies Marjan.

J’espère avoir su démontrer qu’avec la bonne approche, l’esprit des fêtes est tout sauf agaçant. Si tel n’est pas le cas, eh bien, il faudra me croire sur parole. Je sais, vous vous dites que je suis biaisé. Mais je veux être certain que le père Noël ne m’oublie pas. Maintenant que je me suis assis sur ses genoux, je sais qu’il existe.

Alors, voici ma liste: Je veux de nouvelles chaussures. Je veux un monocycle tandem (aussi appelé «binocycle»). Je veux une nouvelle coupe de cheveux pour Max. Je veux une horloge grand-père. Je veux une maison dans un arbre et une piscine intérieure. Pour une fois, j’aimerais un party du jour de l’An complètement insane. Je veux le livre sTori Telling by Tori Spelling autographié par Tori Spelling. Je veux une nouvelle couche d’ozone. Je veux qu’on refasse la dernière saison de Game of Thrones. Je veux un dragon. Je veux visiter une chute de fromage havarti et je veux que les vêtements soient optionnels. Et je ne veux pas qu’il y ait de petites feuilles d’origan dedans. Je veux que Pepsi et Coke se réconcilient. Je veux que les Spice Girls fassent un come-back. Je veux dire, avec Victoria aussi. Je veux un tatou, mais avec une garantie que je l’aimerai. Je veux une œuvre d’art que tout le monde trouve laide, mais qui vaudra un jour des millions. Oh, dernière chose: pouvez-vous arrêter de dire que l’esprit des fêtes est énervant?

Michael the III est un rédacteur, photographe, mannequin et journaliste d’enquête. Ses textes ont notamment été publié par THEFINEPRINT, Document Journal et SSENSE. La sortie de Fruitcake by Michael the III, son premier album de Noël, a été reportée en raison de la très forte demande.

  • Photographie: Michael the III
  • Texte: Michael the III
  • Modèle: Michael the III
  • Stylisme: Michael the III
  • Coiffure et maquillage: Michael the III
  • Père Noël: Michael the III
  • Traduction: Geneviève Giroux
  • Date: 20 décembre 2019