Esprit jeune : de l’URL à la vie réelle

Une conversation avec Elise By Olsen, rédactrice en chef de Recens Paper

  • Images gracieusement fournies par: Elise By Olsen et Recens Paper
  • Photographie: Maria Paseneau

Dans une industrie obsédée par la jeunesse, la rédactrice norvégienne Elise By Olsen détient l’atout ultime. Elle a fondé Recens Paper, un magazine de mode dédié à la culture des jeunes, alors qu’elle n’avait que 13 ans. Deux ans plus tard, les idéaux progressistes et l’esthétique post-digitale de son magazine sont plus pertinents que jamais dans une saison où les collections de mode offrent de nombreuses interprétations de l’androgynie, de l’individualité et des sous-cultures.

Mais pourquoi une membre de la génération Internet, qui blogue depuis l’âge de 8 ans, choisirait-elle de lancer un magazine imprimé ? Pour By Olsen, c’est une façon d’inviter un vaste réseau de nouveaux talents à prendre part au dialogue culturel, au-delà des écrans. Mais l’imprimé n’est peut-être qu’un point de départ. Selon By Olsen, Recens Paper croît rapidement. « C’était d’abord principalement un magazine, mais il devient à présent un outil pour documenter un mouvement en développement. »

Elise By Olsen partage ses pages préférées de Recens Paper et ses rouleaux de pellicule avec SSENSE, et nous dit à quoi ressemblera le monde dans quinze ans.

SSENSE

Elise By Olsen

J’ai l’impression que les plus vieux parlent davantage de la « jeunesse » que les jeunes, soit par nostalgie, où pour comprendre comment le monde a changé, ou comme cible de marketing. Comment la jeunesse est-elle devenue le thème central de votre magazine ?

La génération précédente nous perçoit comme étant en permanence devant nos ordinateurs et indifférents à tout ce qui ne nous concerne pas. Mais l’Internet est en fait un excellent outil pour accéder à l’information et rencontrer de nouveaux amis. Recens Paper est le résultat de mon désir de créer une plate-forme pour mettre en valeur des jeunes talents que j’ai rencontrés via Internet. Ces personnes n’avaient pas encore eu la chance de diffuser leur travail, ou elles étaient rejetées par l’industrie. La production de cet univers caché des jeunes derrière leurs écrans – c’est ce qu’on rassemble et présente avec Recens Paper. D’après mon expérience, c’est plus facile de communiquer avec les jeunes quand on est soi-même adolescent. Comme vous l’avez souligné, la jeunesse a toujours eu un impact important sur l’industrie en créant de nouvelles tendances, en innovant et en repoussant les limites. Le thème du magazine est donc automatiquement et essentiellement devenu la jeunesse.

Parlez-nous du développement de Recens. Pourquoi vous a-t-il paru important de créer un magazine imprimé plutôt qu’en ligne ?

J’ai lancé Recens en août 2013 en réaction aux stéréotypes et aux normes de l’industrie. Les seules options pour les jeunes étaient des magazines médiocres et conventionnels qui parlent de cosmétiques, de puberté et de célébrités. En tant que magazine pour jeunes avec un très jeune lectorat, nous avons la responsabilité importante, à l’ère numérique, de défendre la valeur des objets physiques. Notre troisième numéro, paru en octobre 2015, était accompagné d’un CD. Il visait à offrir un complément sonore à l’atmosphère et à l’esprit du numéro.

Certaines mises en page du magazine font penser à un tableau d’affichage. Comment préparez-vous chaque numéro du magazine ?

À une époque où presque tout est instantané et produit à grande échelle, il faut se tenir à jour et réfléchir à grande échelle, être constamment en quête d’avant-garde. Je suis non seulement rédactrice d’un magazine imprimé à l’ère numérique, mais aussi d’un magazine qui s’adresse à la jeunesse, et celle-ci évolue encore plus rapidement. Il faut une constante stimulation intellectuelle pour produire un contenu de qualité. Entre les numéros, un formulaire de soumission est disponible sur le site de Recens, est c’est généralement de là que viennent les premières idées du numéro suivant. Je me prépare en faisant des recherches sur les réseaux sociaux et dans d’autres magazines imprimés et en ligne. Je discute aussi de politique, de tendances, d’actualité et d’inspiration avec mes amis Internet.

Qui sont vos collaborateurs ?

Je travaille en étroite collaboration avec Morteza Vaseghi, le directeur artistique et graphiste de Recens. On forme une équipe soudée et on s’influence mutuellement. Il a le double de mon âge, alors nous sommes chacun à une extrémité du groupe d’âge des « jeunes adultes ». Le noyau dur, c’est moi, Morteza et Felicia Granath, la réviseuse de Recens. On a aussi au moins 250 contributeurs internationaux avec lesquels on communique via messagerie Facebook, email et Skype.

Qu’est ce que votre génération a à dire dont on ne parle pas encore ? À quoi va ressembler le monde dans dix ans?

Je crois qu’on s’oriente vers une société non binaire. Nous sommes une génération très internationale. Je crois que nos futurs emplois vont nous amener à beaucoup voyager et à être très dynamiques et flexibles quant aux horaires de travail. Je crois que les travailleurs indépendants seront plus nombreux, et l’accès à une éducation artistique aura moins d’importance que l’accès au savoir. Davantage de gens vont créer leur propre entreprise. J’espère et je crois que ma génération sera très consciente des normes éthiques dans l’industrie de la mode, des crises humanitaires et des problèmes environnementaux. Dans dix ans, j’espère aussi que les médias et l’industrie de la mode présenteront des modèles plus variés en termes de genre, de morphologie et de race.

J’ai l’impression qu’à chaque fois qu’on parle de la jeunesse, on aborde le fait qu’Instagram a changé nos vies. Pensez-vous que c’est un bon point de départ ?

Instagram a certainement changé ma vie. Sans Instagram, Recens n’existerait pas et je n’aurais pas rencontré plusieurs de mes amis.

Quelle est la prochaine étape pour Recens ?

Recens est en train de se redéfinir. C’était d’abord principalement un magazine, mais il devient à présent un outil pour documenter un mouvement en développement. Comme notre popularité augmente auprès des jeunes, nos anciens numéros deviennent des objets de collection. Notre objectif est de se diversifier. On travaille en ce moment sur l’organisation d’événements et d’expositions, un projet musical, des vêtements, une publication parallèle, et un long métrage. Je ne peux pas en dire plus pour le moment.

  • Images gracieusement fournies par: Elise By Olsen et Recens Paper
  • Photographie: Maria Paseneau