Au-delà des sacs cultes: la vision 100% américaine de Simon Miller
Les directeurs de création de la marque californienne sur la longévité, les thématiques et la cautérisation des tiges de coquelicot
- Entrevue: Erika Houle
- Photographie: Sam Muller

Chelsea Hansford et Daniel Corrigan – directeurs de création chez Simon Miller – se sont rencontrés il y a huit ans à un concert de Lil Wayne. Menant leur barque respective dans l’industrie du denim, ils assistaient à la même foire commerciale à Vegas… On connaît la suite. « Quelqu’un avait une limousine, et, va savoir comment, nous avons ramassé Daniel, relate Hansford. Nous sommes restés en contact, et avons commencé à bosser ensemble des années plus tard. »
À l’époque, Simon Miller ne dirige qu’une petite collection pour hommes. Corrigan est résolu à mettre le grappin sur Hansford afin de consolider la marque en lançant une collection pour femmes; elle finira par accepter. Mais, c’est le mari de Chelsea, Grégoire Gamba – un artisan du cuir de l’Hexagone qui a œuvré avec des griffes telles que Marc Jacobs, Louis Vuitton et Goyard –, qui a été le fer de lance des accessoires du label. En concevant un sac seau parfaitement confectionné (et ardu à reproduire), la marque du sud de la Californie s’est retrouvée inopinément et passionnément l’objet d’un véritable culte.
En novembre 2017, Hansford et Corrigan franchissent une autre étape en comblant le fossé professionnel de la distance entre New York et L.A. « Notre loft de SoHo était un concept amusant, mais Daniel possédait cet espace ici où l’on produisait la majorité du prêt-à-porter, » déclare Hansford. « On estimait qu’il fallait être tous réunis. Greg et moi avons quitté New York, en emmenant notre directeur commercial. On reste en famille. » La belle équipe soudée semble s’être bien acclimatée au mode de vie relax de L.A. – surtout Marcel, le bouledogue d’Hansford qui prend ses aises sur le canapé du studio sis au centre-ville, qui déborde de plantes et d’échantillons de cuir piqués sur des mood boards.
Plus tôt ce printemps, SSENSE s’est arrêté dans l’espace du duo pour tâter le pouls et sentir l’ambiance de la nouvelle collection signée Corrigan et Hansford.


Erika Houle
Chelsea Hansford and Daniel Corrigan
E: Je lisais un vieil article dans le T Magazine qui remonte au lancement de votre sac Bonsai. Vous disiez espérer qu’il devienne un sac culte.
D: [Rires] C’était en quelle année, ça?
E: En 2015
C: C’est dingue!
E: Effectivement! Comment ça s’est passé quand c’est devenu réalité?
D: Nous l’avons lancé sur notre site web, à la fin de cette année-là. Nous étions au bureau lors de la mise en ligne, et en avons vendu 15 ou 20 en une seule journée. Nous étions là à nous dire genre :« Quoi? c’est pas vrai! » Nous n’étions pas préparés à un tel truc, qui n’a cessé de s’amplifier au fil du temps. Greg a conçu le Bonsai. Nous avons tellement de chance de l’avoir, il connaît tout de cet univers. Sans lui, tout aurait disparu aussi vite qu’il est apparu.
C: Ça met un max de pression pour le prochain. Plusieurs importantes maisons développeront 300 sacs, et n’en vendront que 4. Ce n’est pas notre modus operandi. Nous en concevons un, et nous le vendons. Il devra être un succès, un it bag. Dans ce monde où tout va vite, on n’a pas souvent le loisir de s’arrêter et de goûter au succès, car tout le monde veut passer au suivant. Surtout en transigeant avec les acheteurs. C’est exténuant en quelque sorte, mais amusant de se trouver dans une telle situation. Il faut demeurer créatif, c’est tout.

E: Vous avez accompli plusieurs changements importants depuis les débuts, où il n’y avait que des jeans pour hommes. Comment définissez-vous Simon Miller aujourd’hui?
C: C’est une marque américaine contemporaine. Nous sommes d’ici, nous œuvrons ici et nous en sommes fiers. En matière de style, il existe de grands courants venant des États-Unis.
D: Le denim occupe tellement une place importante dans notre collection. Je crois pas que nous soyons une marque vintage ou patrimoniale, mais il existe dans le jean un élément essentiel qui trouve écho dans ces paysages de l’Ouest américain, où l’on puise notre inspiration.
C: Nous la définissons aussi comme une marque lifestyle – qui épouse, embrasse un mode de vie –, car nous explorons tellement plus que seulement des produits. Comme nos intérieurs. Nous avons noué un partenariat avec Leonard Urso, un artiste qui conçoit nos visuels. Il possède cette incroyable collection de sculptures modernes à grande échelle dans nos palettes de couleur, et il confectionne aussi nos bijoux. Ça a été une énorme partie prenante de nos changements. Nous multiplions les collaborations avec le mobilier, et nous avons commencé à explorer davantage avec la céramique. Il existe tant de produits sur le marché de nos jours, il faut être inspiré par toutes les facettes du mode de vie. Voilà notre mission.
E: Et en quoi ça consiste?
C: Chaque saison, nous concevons des playlists pour nos showrooms, et avons un chef. Pour la collection printemps-été 2018, c’était la forêt pluviale congolaise. Nous écoutions une incroyable playlist de reggae des années 1970 et des vidéos clips, alors que notre chef nous faisait du pain perdu à la noix de coco et des lobster rolls. Cette saison, c’était une playlist de musique française des années 1960-70, et il nous a préparé des pinces de crabe royal et du bifteck au poivre. L’ambiance était super.


E: Et qu’en est-il des arrangements floraux?
C: Obsession totale! Sophia Moreno-Bunge d’ISA ISA s’est occupée de notre événement pour la saison automne-hiver 2018, et m’a enseigné à opter pour une approche minimaliste quand on achète des fleurs. C’est ça le secret. Je n’aime pas vraiment les gros bouquets.
D: Ça signifie qu’un gros bouquet de roses, c’est pas ton truc?
C: [Rires] J’arrive même pas à regarder une rose.
E: Vous a-t-elle donné d’autres conseils?
C: Quand on taille la tige d’un coquelicot, la fleur s’empoisonne dans l’eau. Mais, si l’on brûle la base de sa tige, elle vivra une semaine. Ça a transformé ma vie.
E: Qu’est-ce qui vous attirait dans la pop française des années 1960 pour votre plus récente collection?
C: Pour ma part, j’ai grandi avec une maman obsédée par les thématiques. La mienne, c’était les étoiles; et elle en appliquait sur tous les murs. Ça passait, et ensuite c’était le léopard, et tout devenait motifs animaliers. Puis, on m’a installé un plancher en liège; ma sœur c’était les coquillages. Alors, je ne suis pas là à me dire « Mais comment la pop des années 1960 s’arrime-t-elle à la prochaine saison? », mais plutôt : « Où sont les liens et la cohérence? »
D: Nous développons sans cesse de nouvelles formes, mais toujours dans les limites de l’univers Simon Miller.
E: Concevez-vous en ayant certains personnages en tête, ou c’est plus pour les gens qui vous entourent?
D: Notre homme est probablement moins enclin à expérimenter que notre femme, mais nous voulons lui offrir des trucs un peu plus excitants qu’un jean et un t-shirt blanc. Des textiles classiques, mais des silhouettes anticonformistes.

« J’arrive même pas à regarder une rose! »
E: D’où proviennent vos textiles?
D: Une petite partie d’Italie, mais la plupart du Japon. Nous travaillons aussi beaucoup les cotons américains, directement avec les usines textiles qui développent nos propres tissus.
C: Et tout notre cuir vient de France. Nous y produisons également tous nos sacs, parce que notre artisan du cuir est Français. [Rires] On ne peut pas extirper un Français de sa patrie. On ne peut tout simplement pas!
E: Pensez-vous continuer de présenter séparément vos lignes hommes et femmes?
C: Elles resteront séparées en ce qui a trait aux silhouettes, mais nous les fusionnons radicalement. Nous ne les présenterons ensemble qu’à New York et à Paris, et ça signifie tout un changement pour nous! Elles sont en transition.
D: Je trouve ça cool que les marques soient si nombreuses à se lancer davantage dans l’unisexe, mais c’est pas du tout pour nous. C’est pas notre mec, et c’est pas notre nana. Je trouve que les collections vivant ensemble ménagent un bel espace à la créativité.
E: Récemment, vous avez refait ce studio? Qu’espériez-vous y exprimer?
D: L’ouverture. Nous voulons que tous communiquent. Faire l’expérience d’entrer dans un lieu et de comprendre.
C: Tout est à notre image, nous représente. Nos maisons, le mobilier, les fleurs, les aliments qu’on cuisine. Il ne s’agit pas que de dessiner des vêtements; il s’agit d’avoir une vision claire de ce qu’on désire voir évoluer.


Erika Houle est rédactrice chez SSENSE, à Montréal.
- Entrevue: Erika Houle
- Photographie: Sam Muller