Maisie Wilen, la femme d’affaires qui a le cœur à la fête

La marque cosignée par Kanye West crée une garde-robe de pièces imprévisibles.

  • Entrevue: Erika Houle
  • Photographie: Alexis Gross

Dans toute bonne émission de déco avec un designer très en vue, on peut s’attendre à voir de luxueux tapis, de beaux livres d’arts et des crédences modernes mid-century. L’appartement rose du quartier Loz Feliz de la designer de 27 ans, Maisie Schloss, lui, est étonnamment magique (c’est aussi là que loge sa nouvelle marque de vêtements pour femme, Maisie Willen). C’est une sorte de palais du rire fashion rempli d’uniformes de contorsionnistes et de figurines d’animaux de cirque, où produits dérivés Space Jam, cygnes en céramique et Yeezy Boosts pour bébés cohabitent en parfaite harmonie. L’atmosphère est à l’image de la philosophie de la designer née à Chicago; «une chose avec laquelle je galère quand je m’habille, c’est cette dichotomie entre les vêtements jolis ou flatteurs et ceux qui sont branchés, confie Schloss. J’aime unir ces deux mondes.»

Aujourd’hui, Schloss porte une robe vintage bleue seventies à manches bouffantes et de larges baskets multicolores. Une pince à cheveux en forme de papillon orne sa longue chevelure ondulée. Ses deux chattes, Tina et Zoe (dont les portraits sont accrochés au mur et tatoués sur son bras), nous rejoignent au salon. Tina arbore un foulard jaune vif taillé sur mesure par Maisie Wilen, tandis que Zoe s’abreuve sans vergogne dans mon verre d’eau. Schloss rigole, confuse. Elle m’offre aussitôt un nouveau verre en se confondant en excuses. Son esthétique excentrique et extravagante contraste avec sa nature timide et son processus créatif discret – elle préfère travailler en silence, la nuit, quand la ville dort à poings fermés.

Schloss se fait remarquer et recruter par Kanye West à l’époque où elle bosse pour une entreprise de vêtements sport et de maillots de bain. Elle se joint à l’équipe de design pour femme de YEEZY, la ligne culte de West. Elle y restera pendant trois ans, période durant laquelle elle acquiert une fine connaissance des silhouettes moulantes emblématiques de la marque adoptée par toutes les it girls, qui lui servira à développer sa propre griffe, Maisie Wilen. Elle a reçu la première subvention de l’incubateur mode de Kanye West avec en prime, l’approbation de tout le clan Kardashian. Tandis que les tendances et les pratiques de créations font un retour aux lignes fines et minimalistes, Schloss réinvente la garde-robe de la party girl à coups de léotards portés sous des t-shirts inspirés de la peinture à numéro. Son objectif est simple, quoique souvent mis de côté dans l’industrie de la mode: elle veut avoir du plaisir.

Nous sommes entourées d’esquisses et de sacs remplis de bodies kaléidoscopiques fluorescents que Schloss passera l’après-midi à mesurer, à trier et à emballer. Depuis le lancement de sa première collection plus tôt cette année, elle déborde d’énergie. Elle s’occupe à elle seule de tous les aspects de l’entreprise: de la production à la création en passant par la comptabilité. En tant que diplômée de la Parsons et ex-New-Yorkaise, Schloss est habituée au rythme chaotique de son industrie. Elle s’est rapidement bâti une communauté de fans, qui incluent des célébrités et des créateurs avant-gardistes tels que Jorja Smith, Charlie XCX, Megan Rapinoe et Rowan Blanchard. Ici, Schloss nous parle de son espace de travail, de Betsey Johnson et de la création de looks sur mesure pour North West.

Erika Houle

Maisie Schloss

Peux-tu me parler de ton enfance à Chicago?

Je suis heureuse d’avoir eu la chance de grandir là-bas. C’est une grande ville, qui a le charme du Midwest. Il y a tant de ressources, de bons cours auxquels assister et un bel esprit de communauté. Ce n’était pas comme essayé de devenir designer à New York, qui est complètement saturée. J’ai commencé plutôt jeune. J’ai vite su ce que je voulais faire.

Tu as créé ta marque en utilisant le nom de fille de ta mère. Quel genre d’influence avait-elle sur toi?

Elle porte beaucoup de pièces uniques… et particulières.

Avais-tu d’autres sources d’inspiration quand tu étais plus jeune?

Quand j’étais au collège, j’étais complètement obsédée par Betsy Johnson. J’ai commencé à suivre des cours de mode à la School of Art Institution de Chicago. C’est là que j’ai entendu les noms Gaultier et Margiela pour la première fois, et que je suis tombée en amour avec Viktor & Rolf.

Depuis que tu t’es établie à L.A., comment décrirais-tu ton rapport au nightlife de la ville?

Je vais sûrement vous surprendre, mais j’aime beaucoup South Bay, où l’ambiance est plus décontractée, plus sport. Il y a beaucoup de surfeurs… J’adore sortir. Les univers de la mode et de l’art sont tellement liés et solidaires entre eux. Je pense aux femmes qui se procurent mes vêtements et à ce qui leur donnera envie de s’amuser.

Est-ce que tu crées en pensant à la party girl? Les vêtements moulants semblent être ta marque de commerce.

Ils sont plus faciles à porter, et plutôt confortables. Dans le futur, ce ne sera pas nécessairement toujours aussi serré. Ça fonctionnait bien la saison dernière parce que c’était en harmonie avec l’inspiration et l’ambiance. J’étais vraiment très attirée par les images de gymnastes dans lesquelles on sent le mouvement. Leurs costumes ont des imprimés abstraits et gestuels que je trouve intéressants. Et elles sont généralement hyper contorsionnées sur leurs photos. J’aime particulièrement celles qui ont des rubans qui scintillent autour d’elles. Je les trouve tellement belles sur le plan graphique et elles sont liées à mon processus.

De quelle manière?

Je bosse presque exclusivement sur mon ordinateur. Je compile des images dans des dossiers, je regarde un tas de films, je lis des passages qui pourraient être pertinents et je fais le plus de recherches possible pour trouver le plus grand nombre de sources différentes. Je suis très rigoureuse et organisée et j’ai un système de fou pour absolument tout, et pourtant, je crée des vêtements qui sont joyeux et légers.

Quels films ont eu le plus d’influence sur toi?

La saison dernière, j’étais obsédée par Sweet Charity. Bob Fosse était le chorégraphe, et j’adore les scènes avec les danseurs. Mon film préféré est Juliette des esprits.

Je verrais bien tes vêtements dans la saison 2 de Euphoria.

Jules est mon personnage préféré, elle a le plus beau look. Ce serait trop génial s’ils me contactaient. Je suis partante!

Y a-t-il eu un moment où tu t’es dit «wow, cette personne porte mes créations. Incroyable!»?

La fois où North West a porté l’ensemble assorti orange que j’ai confectionné sur mesure pour elle. J’étais littéralement en train de faire des courses quand j’ai reçu la notification d’Instagram. J’ai me suis arrêtée net et je me suis mise à prendre un tas de captures d’écran et à envoyer des SMS à mes amis. Je croyais rêver. [Rires]

Quel est l’aspect le plus difficile quand on doit jongler avec autant de responsabilités?

Je cours partout, sans vraiment me concentrer sur une seule tâche. C’est du genre, «je fais un truc et ensuite je fais le ménage de la maison! Puis je dessine 20 nouvelles pièces et rédige un tas de courriels». Je déborde d’énergie et je m’occupe d’absolument tout. Ce que je préfère, c’est gérer l’entreprise – apprendre de nouveaux trucs sur lesquels je n’ai jamais eu de visibilité, comme les déclarations de revenus trimestrielles ou les demandes de marque de commerce. Les tâches de gestion d’entreprise qui sont plutôt analytiques, ça me plaît bien en fait.

Dans une interview avec Vogue, tu as mentionné que tu rêves d’habiller Dolly Parton. Comment l’habillerais-tu?

Je modifierais une de mes pièces, je la couvrirais de paillettes. Je crois que la robe sans manches de la saison dernière lui irait à merveille.

Il y a une rumeur qui circule au sujet de ses bras. On dit qu’ils sont secrètement couverts de tatous…

Tu crois que c’est vrai?

Non.

Je n’y crois pas non plus, mais j’aime l’imaginer.

Erika Houle est rédactrice chez SSENSE à Montréal.

  • Entrevue: Erika Houle
  • Photographie: Alexis Gross
  • Traduction: Armelle Dubuc
  • Date: 3 décembre 2019