032c Pyrate Society met le cap sur les îles Vierges britanniques
La designer Maria Koch nous parle de l’éthos vestimentaire du magazine
- Entrevue: Rebecca Storm
- Photographie: Marc Goehring

La multiplicité de 032c est précisément ce qui rend la marque si unique. À la fois magazine, collection de vêtements et pipeline culturel, son identité s’articule autour de ce message iconoclaste. Élusif sans pour autant être évasif, 032c est toutefois clair quant à sa démarche. « Ce que nous faisons doit correspondre à 100% à l’utopie 032c », explique la designer Maria Koch, qui conçoit les vêtements produits par la maison. À travers de puissantes icônes puisées dans la pop et la sous-culture, Koch réagit de façon éloquente aux événements de la scène artistique, culturelle et politique. La dernière collection de 032c fait honneur à l’image-totem de la culture anarchiste : la tête de mort. Méta-célébrant l’esprit de Pyrate Society, 032c a ouvert une boutique éphémère dans les Caraïbes, épicentre historique de la piraterie. Rebecca Storm s’est entretenue avec Maria Koch à propos du design et de l’iconographie virale.

Rebecca Storm
Maria Koch
Qu’est-ce qui t’a poussée à lancer une collection de vêtements en collaboration avec le magazine 032c?
Je crois qu’essentiellement, 032c cherche à offrir une alternative au statu quo. Nous avons toujours vu cette publication comme une plateforme plutôt que comme un simple magazine imprimé. Pour exprimer une idée, on a parfois besoin d’un article, parfois d’une exposition, et parfois, d’un party. Peut-être qu’un jour, 032c imaginera un bâtiment. Mais pour le moment, nous avons choisi de créer des vêtements. C’est la suite logique des choses : le magazine s’est tellement intéressé à la mode que nous voulions mettre nos insights en pratique. Actuellement, je suis une designer de vêtements pour femmes tout ce qu’il y a de plus classique. Je collabore au magazine depuis que j’ai rencontré Joerg. J’ai donc amplement eu le temps d’intégrer l’ADN de 032c pendant que je travaillais pour d’autres marques, ou quand j’étais chargée de cours. C’est à cette époque qu’a germé l’idée de prendre l’identité visuelle déjà forte que Joerg avait conféré à 032c, et de s’en inspirer pour faire des vêtements. Je les dessinais, et l’équipe les « approuvait ». On peut donc dire que c’est « 100% fidèle à ce que nous croyons » et à l’utopie 032c.

Où étais-tu chargée de cours?
À l’EsMod Berlin International University of Art for Fashion. J’y donnais une classe de maître sur la notion d’équitabilité dans le secteur de la mode, le tout appuyé par des principes et des stratégies de design. J’ai aussi travaillé en tant que designer de mode féminine pour Jil Sander, Prada et Marios Schwab, et j’agis actuellement en tant que consultante pour Yeezy.
L’atelier de 032c se trouve dans l’immeuble où tu habites. Comment cette proximité entre ton lieu de travail et ta résidence influence-t-elle ta pratique?
Je n’y vois que du positif. L’immeuble est en fait une extension de l’église brutaliste de Sainte-Agnès, construite dans les années 60. L’atelier se trouve dans la vieille maison communautaire, alors que mon appartement est situé dans une autre partie. Il y a donc tout de même une certaine distanciation – j’ai besoin de mes clés et de mon manteau pour aller du point A au point B. Il faut dire que j’ai un petit côté ermite; je me sens plus relax quand je n’ai pas constamment à rencontrer de nouvelles personnes. Cette routine a quelque chose d’inspirant pour moi. Le cadre idéal pour moi quand j’ai quelque chose à faire consiste à écouter la même chanson en boucle dans une salle vide. Une atmosphère monacale.

À part 032c, quelles sont tes marques de vêtements préférées?
En fait, je ne porte pas tellement de 032c. Mon style passe par des phases. En ce moment, j’ai adopté le style nineties de Helmut Lang et les créations minimalistes de Prada, ainsi que certaines pièces par Arc’teryx et Yeezy. Le soir, j’aime bien porter des talons hauts ultra-classiques, un pantalon en latex par mes amis de chez Alyx, et un haut Yves Saint Laurent vintage – ou encore un t-shirt emprunté à mon mari.
Tu as rendu hommage à quelques musiciens en créant des t-shirts à leur effigie, notamment Sade et Arthur Russell. Si tu ne devais écouter qu’un seul de ces artistes pour le reste de ta vie, lequel choisirais-tu?
Je dirais… Ah non! Impossible de choisir!


En quoi est-ce que ces musiciens – ou la musique en général – t’inspirent-ils quand tu crées ces pièces commémoratives?
Nous le faisons surtout dans l’esprit d’une dédicace. Les musiciens que nous aimons nous inspirent ce genre de chandail très utopiste. Ils ont un certain statut à nos yeux, puisque dans un sens, ils ont profondément teinté nos expériences présentes et passées.
As-tu un musicien préféré? Verrons-nous son visage sur un chandail 032c un jour?
Oui, définitivement! Mais pour le moment, je ne peux pas révéler de qui il s’agit.

Comment percevais-tu la marque No Fear dans les années 90? Qu’est-ce qui t’a donné envie de te réapproprier ce slogan et cet état d’esprit?
Ça n’a rien à voir avec la vieille marque de surf. C’est un slogan que mon équipe a adopté après les attentats de Paris, pour dire qu’il ne fallait pas avoir peur de continuer à assumer et à exprimer nos principes et notre style de vie.
Outre les attentats de Paris, y a-t-il certains événements qui t’ont donné envie de créer quelque chose en réponse à ceux-ci?
Peut-être pas de façon aussi explicite, mais le design est toujours affecté – tout comme nous – par les événements culturels et politiques. Les citations – comme « No Fear », « The Beatings Continue Until Morale Improves » ou « Don’t Dream It’s Over » – et les symboles ne sont pas utilisés juste parce qu’ils sonnent bien ou qu’ils ont l’air cool. Ils permettent de communiquer un certain message. Nous essayons donc de les rendre très attrayants, hardcore et sexy.



Peux-tu nous parler un peu de la boutique éphémère que vous avez ouverte dans les îles Vierges britanniques? Comment ce projet est-il né?
Nous nous sommes tout simplement dit que ce serait une façon vraiment cool et amusante de « méta-célébrer » la collection Pirate Society en écrivant le prochain chapitre de son histoire sur les îles Vierges britanniques. Un espèce d’effet Pygmalion!
Pourquoi avoir choisi les Caraïbes?
Mon frère a vécu aux îles Vierges britanniques pendant cinq ou six ans, et je suis allée le visiter quelques fois là-bas. Je suis fascinée par les îles elles-mêmes, par l’intense beauté naturelle qui les entoure, mais aussi par l’important héritage laissé ici par les pirates.

Dans un monde contaminé par Ed Hardy, comment fait-on pour utiliser la tête de mort sans sombrer dans le mauvais goût?
J’ai tout le respect qu’il se doit pour le travail de Christian Audigier et, dans la même veine, de Philipp Plein. Nous ne sommes peut-être pas sur la même page en matière d’esthétisme, mais ils ont un sens des affaires extrêmement aiguisé, considérant que la scène fashion en général ne les prend pas au sérieux et s’amuse même un peu à leurs dépens. Dans mon système de référence personnel, la tête de mort n’est pas associée à des marques comme Ed Hardy ou Philipp Plein, pas plus qu’à Alexander McQueen. Pour moi, elle a beaucoup plus à voir avec la youth culture gauchiste : les manifs, les émeutes, les clubs de foot underground, etc. Nous l’avons combinée à une phrase très puissante que nous avons lue – « The beatings will continue until morale improves » (Les violences se poursuivront tant que la morale ne s’améliorera pas.) – ainsi qu’à un symbole politique anti-fasciste : l’étoile rouge et noire. Le rouge représente le communisme et le noir, l’anarchie.


Comment considères-tu le fait de reproduire ou d’emprunter de vieux designs?
Picasso a déjà dit – et Steve Jobs y a aussi fait référence – que les bons artistes copient et que les grands artistes volent. Vous voyez? Tout à fait piratesque! Ce qu’il voulait dire, c’est que tout artiste est influencé par ce que les autres ont fait avant lui. Nous sommes un produit de notre époque, et nous avons le privilège de pouvoir apprendre de ceux qui nous ont précédés sur cette même route.
Pourquoi faut-il absolument enlever ses chaussettes avant de faire l’amour?
Ce n’est pas important du tout! C’était juste une blague; un clin d’œil au cliché voulant que ce soit bizarre de garder ses chaussettes au lit.

Qu’y a-t-il à l’horizon pour 032c? Qu’aimeriez-vous ajouter à la collection dans le futur?
Nous commençons tout doucement à implanter de nouvelles catégories de produits. Nous avons maintenant des casquettes, des chaussettes et des épinglettes. Nous avons aussi créé un beau blouson en collaboration avec Carhartt, orné de broderies et doublé de fourrure. Nous travaillons aussi à développer certains styles plus « prêt-à-porter », comme un manteau en toile tout simple. Notre plus grande ambition est que 032c devienne la plus grande marque de vêtements en Allemagne d’ici trois ans.

Dans cet esprit, est-il important pour vous d’offrir des produits abordables, ou croyez-vous au contraire que les produits de qualité devraient être associés à un prix plus élevé?
Je crois qu’il est préférable d’adopter une approche réaliste et d’offrir une structure de prix correspondant à un certain niveau de qualité. Quand un produit est trop cher ou trop bon marché, je perds très vite mon attrait pour le produit, ou même pour la marque. Nous voulons que les vêtements 032c soient tout autant de qualité que le magazine, tant en matière de coupe que de tissu et de design.
Quand Joerg fait des entrevues, je sais qu’il aime bien poser la question : es-tu plutôt du type chien ou du type chat?
[Rires] Je suis une fan finie des chiens! Chaque matin, je passe au moins 15 minutes à regarder des vidéos de chiens – des sauvetages de chiens errants, des bébés chiens, des chiens qui travaillent, etc.

Risque-t-on de voir des chiens sur vos vêtements?
Les chiens sont définitivement sur notre liste, oui.
Votre chien Toastie deviendra-t-il une vedette?
Ma petite Toastie devrait être une grande vedette, oui! Elle le mérite – en ce sens que tous les chiens adorent être le centre d’attention.
- Entrevue: Rebecca Storm
- Photographie: Marc Goehring