L’homme qui a vu l’ours

6LACK : ETRE SOI-MEME OU NE PAS ETRE

  • Entrevue: Katrina Lainsbury
  • Photographie: Hannah Sider

Depuis les années 90, la musique pop s’est déclinée en une infinité de nouveaux styles et de nouveaux genres. Bien sûr, cette industrie ne cessera jamais d’évoluer, et les goûts du jour continueront de changer, mais il y a lieu de se demander la part qu’ont à jouer les maisons de disques dans ces grands virages. Il va de soi que bien des labels choisissent de promouvoir et de façonner leurs artistes en fonction de ce qui – selon eux – risque d’avoir la cote. Conséquemment, bon nombre d’artistes authentiques ou profondément originaux se font imposer certains choix en matière de direction créative afin de mieux coller au moule qu’on leur aura choisi. Heureusement, l’Internet – avec le piratage, le streaming et la démocratisation artistique globale qui vient avec – est arrivé à la rescousse pour redonner une partie du pouvoir au peuple. Certains joueurs de l’industrie continuent évidemment à tenter de prédire et de reproduire artificiellement ce phénomène de popularité en créant de toutes pièces des artistes übercommerciaux, mais les médias sociaux et les géants du streaming en ligne comme SoundCloud ont permis à plus d’artistes de se faire connaître sans pour autant sacrifier leur indépendance et leur intégrité. 6LACK s’inscrit parmi ces jeunes artistes émergents qui règnent au sommet des palmarès de l’Atlanta et qui commencent à attirer l’attention du grand public. Or, comme en témoigne son parcours depuis le tout début de sa carrière, il n’a aucunement l’intention de devenir un produit de l’industrie. Peu de temps après qu’il ait coupé les ponts avec son premier label en 2011, on a commencé à entendre ses chansons un peu partout, jusque dans les SnapChat de Kylie Jenner ou de YesJulz. En pleine tournée nord-américaine, 6LACK a accordé un moment à Katrina Lainsbury pour discuter de l’importance de reprendre le contrôle de son art et de défendre sa position. Rencontre avec un artiste dont la carrière promet de faire bien des bourgeons.

À propos de la numérologie

Le chiffre six est récurrent dans ma vie. Je le vois partout. Je suis né le sixième mois de l’année, dans la zone 6 de l’Atlanta, et 6 est mon chiffre préféré. On m’a toujours surnommé Black, et en vieillissant, j’ai réalisé que le chiffre 6 me représentait parfaitement.

À propos d’être fidèle à soi-même

Je suis bon joueur. Je suis prêt à tester mes limites et à voir ce dont je suis capable, mais je n’ai jamais accepté qu’on m’impose quoi que ce soit qui ne collait pas avec ce que j’étais ou ce que je voulais.

À propos de son nouveau label

J’en suis arrivé au point où j’ai une vision claire de ce que je veux faire. Je ne crois pas que quiconque puisse me faire dévier de ma route. J’ai vu de mes propres yeux le côté glauque de l’industrie; assez pour savoir à quoi m’attendre. Rien ne peut me surprendre. Aucune chance que je me fasse embobiner ou que je me fasse prendre au dépourvu.

À propos du fait de travailler avec ses amis

C’est parfait. Je crois que c’est une bonne chose d’entretenir ce genre de relations avec vos amis, parce qu’ils vous donneront toujours l’heure juste quant à ce qui est bon ou pas. Vous pouvez avoir des échanges que vous n’auriez pas avec d’autres personnes. J’adore être en tournée avec mes amis, et j’aime que ceux qui m’accompagnent sur la route soient des gens de ma vraie famille plutôt qu’une équipe qui ne fait que son travail.

À propos d’être son propre chef

Je suis toujours prêt à essayer de nouveaux trucs et à sortir de ma zone de confort, parce que c’est la seule façon de découvrir son plein potentiel. Mais il y a une différence entre ça et le fait de se faire dire « tu devrais faire ci ou tu devrais sonner comme ça », comme le font la plupart des labels. À moins que vous n’ayez déjà des fondations solides – une image, un bassin de fans ou une bonne idée de qui vous êtes –, ce sont eux qui prendront les rênes. Et je ne veux pas que qui que ce soit me les prenne.

À propos des ours

Les ours sont des animaux calmes et réservés, qui dégagent une certaine sérénité. Pourtant, on dit toujours qu’il ne faut pas tenter le diable avec eux. C’est un animal pacifique, mais à en croire l’expression, il ne faudrait jamais, au grand jamais, tenter de tester leurs limites (N.d.T : en référence à l’expression anglaise « don’t poke the bear »). L’ours était présent sur une de mes vieilles pochettes d’album. J’ai regardé la pochette, puis j’ai regardé l’ours, et je me suis dit que je pourrais amener cette idée plus loin. L’ours que l’on aperçoit dans le vidéoclip de PRBLMS et sur la pochette de Free 6LACK s’appelle Bam Bam.

À propos de la gloire

Je m’y étais préparé et j’ai fait tout ce que j’ai pu pour arriver là, mais on ne sait jamais à quel point le succès peut arriver vite, et l’ampleur qu’il peut prendre. En janvier, je me produisais dans une salle de 600 places et quatre mois plus tard, je performais devant 15 000 personnes. On ne sait jamais ce qui peut arriver.

À propos de la créativité

Le dessin a été le premier truc qui m’a branché. La musique s’est juste avérée encore plus présente dans ma vie. Au fil des années, j’ai touché à plein de trucs, mais en ce moment, je m’efforce de me concentrer sur une seule chose à la fois. J’adore la musique. Je sais que je ne suis pas encore aussi bon que je voudrais l’être, alors je continue à faire tout ce qu’il faut pour maîtriser cet art d’abord et avant tout.

À propos de son évolution en tant que musicien

J’ai commencé en faisant des rap battles, puis je me suis mis à juste rapper, puis à écrire des chansons. Ensuite, j’ai dû apprendre à chanter, à m’enregistrer et à me définir en tant qu’artiste. Tout ça s’est fait par étapes. Je m’attaquais à un seul aspect à la fois.

À propos du hip-hop d’hier et d’aujourd’hui

Quand on y pense, depuis 1992, ça a beau ne pas faire si longtemps que ça en termes d’années, mais le hip-hop a bien dû passer par 15-20 styles différents. C’est fascinant de voir ça évoluer. Il y a eu tellement de sons, de genres et de looks différents. Et pour être franc, je suis vraiment heureux d’en faire partie. Il y a un virage qui s’opère tous les deux ou trois ans, et c’est là toute la beauté de la musique. J’ai toujours été un bon observateur; j’aime étudier ce qui se passe. Mon but est de toujours me maintenir à jour.

À propos de sa chanson préférée sur Free 6LACK

Je dirais Free. C’est la dernière chanson que j’ai écrite, à la fin de mon voyage à L.A. Le mot « liberté » décrit parfaitement comment je me sentais. Je fais référence tant aux sentiments que j’avais par rapport à mes relations personnelles que par rapport à qui je suis, aux maisons de disques – tout. J’ai cherché à me libérer de tout ça avec cette chanson. Quand j’ai fini de l’écrire, le titre s'est imposé de par lui-même.

À propos de la tournée

C’est cool d’être sur la route. Chaque jour, je me réveille avec l’envie de faire encore plus de musique et en pensant à la façon dont je peux continuer à me faire entendre et à me faire voir par les gens.

À propos de ses plans d’avenir

Je vis au jour le jour. J’aurai des plans cette année, puis l’an prochain, puis l’autre d’après. Je venais à peine de terminer mon dernier projet que, deux semaines plus tard, j’étais en studio en train de travailler sur ce qui viendrait après. Je n’ai pas l’intention de m’effacer ou que mon succès soit éphémère. Je veux demeurer présent, demeurer pertinent. Et je veux continuer à m’améliorer.

  • Entrevue: Katrina Lainsbury
  • Photographie: Hannah Sider
  • Stylisme: Savannah White
  • Mise en beauté: Alana Wright, Karl Payton