Offset, ça ne fait que commencer
À la veille de sa séparation avec Cardi B, le rappeur nous parle de la famille et de son nouvel album
- Entrevue: Judnick Mayard

En décembre dernier, soit une semaine après que Cardi B a annoncé qu’elle se séparait de son mari Offset, il a publié une vidéo la suppliant de bien vouloir le pardonner. C’était son vœu de Noël. La campagne #TakeOffsetBack a été lancée par ses fans, puis le jour suivant son anniversaire, soit le 15 décembre (et date originale du lancement de son album solo), il est monté sur scène pour livrer de façon peu judicieuse son message en personne. Il a interrompu la prestation de Cardi en tant que première tête d’affiche féminine au festival Rolling Loud avec des montagnes de fleurs dans lesquelles on pouvait lire «Take Me Back Cardi» (reprends-moi Cardi). C’était définitivement une erreur.
C’est avant ce drame conjugal très public que j’ai rencontré Offset à Los Angeles pour discuter de la sortie de son premier album solo. Le déploiement s’est voulu constant, mais également très secret, avec aucun single ou mention de titre. Les indices suggèrent que l’album porte sur sa nouvelle vie familiale et sur l’amour.
L'air matinal est frais et la gérante de la maison-devenue-studio ne laisse personne fumer à l’intérieur. Mais Offset a froid. Après de longues négociations avec son équipe, il demande à parler à la gérante sur le bord de la piscine. Ils parviennent à un accord. À un certain moment elle s’exclame, «Oh, c’est si mignon», en pointant une photo sur son téléphone. Je me demande s’il lui montre une photo de sa petite de 6 mois, Kulture, que sa femme et lui cachaient toujours du public à ce moment-là. Nous ne nous sommes finalement jamais assis pour parler. Il me presse plutôt à commencer à lui poser des questions alors qu’il poursuit une conversation avec la styliste. Ses réponses sont directes, réfléchies, mais brèves, parfois fractionnées.
Il y a tout de même eu un moment de tension dans notre discussion. J’ai suggéré qu’une décennie dans le milieu l’avait potentiellement vieilli en tant que rappeur. Il s’est énervé en répliquant «Ce n’est pas parce que ça fait longtemps que je suis dans le milieu que je suis vieux pour autant». Vieillir n’est rien de plus que de réaliser qui on est avec le temps. Il est commun que l’on s’interroge sur soi-même uniquement que lorsqu’on ressent de la pression, et ce, trop souvent, et bien malheureusement, après l’échec. Dans la foulée de son divorce imminent, et même alors que la sortie de son album continue à être repoussée, Offset, comme il me l’a confié, a encore beaucoup de chemin à faire.

Judnick Mayard
Offset
Bon alors parlons d’abord de l’album. Nous n’avons pratiquement rien vu, il n’y a eu aucun single et seulement quelques indices des thèmes abordés. Pourquoi as-tu décidé de faire les choses ainsi?
J’ai le sentiment que de nos jours, ils choisissent une ou deux chansons pour les fans. C’est de la merde. C’est pas comme ça que j’ai fait ma place. Je viens de l’époque des mixtapes: quand tu sors ton truc et que tu sais pas comment ça va se passer, mais tu vas le découvrir. Les fans vont te le dire.
Alors tu n’as pas même pas envie d’essayer de deviner pour les fans, tu veux seulement entendre ce qu’ils ont à dire directement?
Je m’excuse, je veux qu’ils la choisissent. Ils vont te dire laquelle est la plus hot. Je vais en donner à tout le monde. Les laisser encaisser par eux-mêmes, tu vois ce que j’veux dire?
À quoi ressemble l’album? On y trouve ton meilleur rap à ce jour?
Fuck ouais! Et c’est seulement le commencement. Ça vient de mes tripes et de mon âme. De mon cœur. On y retrouve plusieurs différents états d’âme. Je rappe, même si de nos jours je vois de nombreux artistes utiliser l’autotune à profusion. Je ne suis pas du tout dans cette vibe là. Quand j’ai commencé, on sortait des tranchées, et c’est ça que les gens veulent entendre, parce que c’est ce qu’ils vivent tous les jours. Personne ici ne roule en Wraith. Dans la culture noire en ce moment, et dans le monde en général, les pauvres sont plus nombreux que les riches, à cent mille à l’heure. Alors tu dois parler de ce qui se passe dans la vraie vie. Simplement du vrai contenu de leur quotidien. On doit revenir à ça.


Ton travail est plutôt intense et demandant, tout comme le style de vie qui vient avec. Tu es constamment sur la route. Comment réussis-tu à rester connecté avec le reste?
Parce que je traîne encore avec mes potes et que je prends toujours les appels de mon monde. Je les écoute et je leur parle, je sais ce qu’ils vivent. 50 000, c’est toute une vie pour certains. C’est pourquoi je commence à investir et à ralentir sur les bijoux. Acheter des choses qui prennent de la valeur plutôt que des trucs qui en perdent. Parce que si mes vieux me demandent quelque chose, comme un peu d’argent ou un truc à 300$, je leur en envoie mille et ils pleurent au téléphone.
Avant de devenir aussi gros en tant qu’artiste, j’ai l’impression que les gens n’en savaient pas beaucoup à mon sujet. J’ai peut-être fait les choses différemment, mais j’y suis tout de même arrivé. Il est jamais trop tard. J’ai le sentiment de toujours y travailler. Et je vais continuer dans cet état d’esprit parce que c’est ce qui me pousse à toujours travailler plus fort. Je sens que la pression est là pour que je prouve ce que je suis capable de faire. Et que c’est ce que je continue à faire. Tu vois plein de trucs dans les médias, des trucs négatifs… mais c’est même pas à propos de ça. J’ai quatre enfants. Alors je parle de mes enfants, d’avoir une famille, et d’être chef de famille.
Et donc de ta vraie vie, ta vie personnelle. Pas le groupe.
C’est complètement une autre vibe de faire un album solo, mais je suis prêt à leur en mettre plein la vue.
Les deux dernières années ont été frénétiques. Tu as quatre enfants, mais cette année tu t’es marié. Ça, c’est une première.
Deux très bonnes années, de grosses années. Tu vois ce que j’veux dire? Deux ans d’homme macho. Je vais pas vous mentir, c’est une grosse étape dans la vie.

De quelle façon? Quels genres de compromis as-tu appris à faire en tant qu’homme marié?
Tu sais, Dieu voit tout. Tu ne peux pas penser qu’à toi, tu dois penser à deux. Les décisions que tu prends, il faut toujours consulter l’autre. Tu peux rien cacher. Ça devient un tout. Point final.
Y’a-t-il des ressemblances entre la vie à deux et la vie dans un groupe ou bien est-ce que ça interfère d’une certaine manière?
Fuck non, c’est complètement différent. Un mariage, ça se fait avec Dieu, et (bien que) mon groupe s’est aussi fait avec Dieu, alors je ne les mettrais même pas ensemble. Ils sont tout aussi importants, mais ce sont deux trucs distincts.
Je ne veux pas faire de suppositions, je veux seulement t’amener à penser à comment ils interagissent sur l’album comme tu l’as mentionné plus tôt.
C’est juste comme… le groupe, on a toujours chacun notre maison, chacun notre vie privée. Tandis qu’avec ma femme c’est différent, c’est nouveau parce qu’on vit ensemble, on partage les factures, tout. C’est beaucoup mieux, point. Ce n’est pas un amour différent. C’est juste différent; on est fait l’un pour l’autre.
Tu dis avoir quatre enfants, mais c’est le premier de ta femme. Comment gérez-vous cette dynamique?
Ouais, Cardi panique beaucoup. Je lui dis de relaxer. J’ai l’impression de déjà tout savoir. Je sais comment faire taire Kulture. Je sais comment la faire arrêter de pleurer. Mais Cardi apprend vite; elle comprend beaucoup de choses, rapidement. Tu dois seulement lui donner tout ce qu’il veut, le bébé est trop petit. C’est lui qui décide et tu dois lui donner ce qu’il veut.
Mais il semble que d’être chef de famille, comme tu le dis, te force à t’améliorer sur certains aspects et à changer ta perspective.
Mon petit frère, il est au collège OK? Il a eu un pépin et m’a dit « peux-tu me donner 30$ pour de l’essence, je n’ai pas d’essence». Et il est super fuckin sérieux, tout ce qu’il voulait c’était 30$. Ça me fait presque pleurer quand je pense à où je viens. Genre, j’ai vraiment vécu des moments de merde, mais j’suis ici maintenant.


Est-ce que ton accident de voiture en fait partie?
Ouais, c’est un des moments dont je parle. Ça a changé ma vie. Comme ils m’ont même dit, j’avais 80% de chance d’en mourir, de défoncer le pare-brise et de rentrer dans un arbre. Je n’ai pas défoncé le pare-brise. J’ai me suis fracturé l’orbite et quelques autres petits trucs, mais j’ai marché jusqu’à la maison. C’est peut-être une marche de 10 minutes jusqu’à chez moi et c’était complètement désert. Il était genre 4h du matin. Un gars est venu m’aider. Un gars qui marchait pour rentrer du travail. Il avait deux enfants. Il est venu à mon secours, putain. Je lui ai aussi acheté une voiture.
À quoi pensais-tu?
Des fois je peux encore sentir les émanations de la voiture. Je me disais juste «Je peux pas mourir.» C’est pas comme ça que je vais partir. Pas question. Trop de gens ont besoin de moi. Je disais cette merde à voix haute, pendant que je marchais, je le criais. «Putain je peux pas mourir comme ça», je me poussais dans l’cul. Je me souviens de ça, je vais jamais l’oublier.
Quel impact est-ce que ça a eu sur ta famille?
J’ai été capable de m’en remettre rapidement, mais j’étais comme «What the fuck?» Cardi était dans la maison quand je suis rentré couvert de sang. Elle était enceinte. J’ai couru à l’étage genre «Je dois aller à l’hôpital.» Elle pleurait et criait. Mais là, le lendemain je suis sorti de l’hôpital, ils y croyaient pas. Les médecins n’y croyaient pas non plus. Je suis sorti de l’hôpital puis j’suis allé enregistrer de la musique. J’ai sorti un petit film documentaire dans lequel tu peux me voir enregistrer juste après ma sortie de l’hôpital.
Pourquoi est-ce que c’était ta priorité à ce moment-là?
Parce que je devais raconter ce qui venait de se passer. Mon esprit était complètement à l’envers aussi. Genre ma vie au complet. Alors je voulais juste rapper. Je voulais sortir du putain d’hôpital.
«Et c’est seulement le commencement. Ça vient de mes tripes et de mon âme.»

On dirait que tu as atteint un point ou tu recherches de nouvelles expériences, non seulement en ce qui a trait à ton swag, mais aussi sur le plan générationnel – genre tu penses à ce que tu vas léguer.
Je dois faire de l’argent, mais pas avec la musique. Ça je le maîtrise. J’ai fini de faire des millions avec ça, alors c’est autre chose que je dois faire pour gagner des millions. Je veux avoir 100 millions avant d’avoir 40 ans. Parce que ce genre d’argent peut subvenir aux besoins de toute ma famille, de mes enfants. La raison pour laquelle les Noirs n’ont rien c’est qu’ils n’ont pas assez d’argent pour la léguer. Je veux faire des liens avec le plus de gens possible parce que plus on est de fous, plus on rit. Tu peux être en train de faire du réseautage avec cette personne, tu sais jamais. C’est pas une compétition. Nous devrions tous essayer de faire quelque chose ensemble et de rendre ça le plus gros possible. Comme en ce moment la raison pour laquelle le hip-hop est en tête c’est parce que tous les jeunes sont là-dessus. C’est un tout. Le hip-hop est présentement le genre le plus populaire.
C’est le plus mainstream.
C’est pour ça que quand les vieux rappeurs disent de la merde, genre fermez vos gueules. Ayez un peu de respect. Parce que oui c’est vrai que vous avez frayé le chemin, mais vous n’avez jamais réussi à faire quelque chose d’aussi gros.
Ils n’étaient pas prêts à constamment se retrouver au sommet des palmarès pop.
Jamais. Tu peux pas te retrouver tout vieux et fâché parce que les jeunes n’ont pas la même allure que tu avais. Parce que ton look n’était définitivement pas le look, mec, puisqu’il a disparu. Je fais de la musique avec des jeunots. Et pas tellement avec les plus vieux. Je ne connais aucun de ces gars-là en fait.
Tu trouves seulement que c’est genre dépassé; ça ne cadre pas avec le contexte actuel.
Ce n’est pas moi. Ça ne va pas avec moi. Et tu vois c’est pour ça que je vais toujours être comme «c’est parce qu’on a changé les règles,» et les gars vont toujours le dire aussi. Mais c’est pas complètement vrai en fait. Est-ce que tu y penses des fois, s’il n’y avait pas de Migos. Il n’y aurait pas de rappeurs. Il n’y aurait pas autant de rappeurs aujourd’hui, un point c’est tout. Et les autres rappeurs qui ont créé des tendances, ils ne seraient même pas aussi hot aujourd’hui.


Que crois-tu être l’aspect que vous avez le plus changé?
Le débit et le son, fuck le style, tout le monde a du swag, tout le monde porte du Gucci, chacun à sa manière, mais quand ça en vient au flow, merde j’espère qu’y aura jamais un putain de rappeur qui nous dira qu’on l’a copié. Je mets au défi n’importe quel rappeur. Parce que je vois bien les messages subliminaux passer sur Twitter, «Vous devriez me remercier» et les mecs s’approprient des trucs qui ne peuvent pas s’approprier. Parce que j’ai hâte de faire jouer la musique de quelqu’un datant de 2013, et de la faire jouer le reste de l’année.
Alors, qu’est-ce que ça veut dire pour toi changer le flow maintenant?
Je ne le change pas vraiment, je le fais évoluer. Je le fais comme ils ne sont pas capables de le faire, de la même manière que tu peux pas faire quelque chose aussi bien que son créateur.
Comme une marque de commerce.
Exactement.

Judnick Mayard est une scénariste et productrice vivant à Los Angeles.
- Entrevue: Judnick Mayard
- Photographie: Stefan Kohli
- Traduction: Armelle Dubuc
- Stylisme: Zoe Costello
- Mise en beauté: Nate Grizzy, Lady Lockz
- Production: Emily Hillgren
- Assistance à la production: Stephanie Bayan
- Réalisation: Michael Mauro
- Caméraman: Nate Hosseini
- Montage: Orlando Urbina
- Colorisation: JT West
- Musique: “Elephants” de Quickly, Quickly