Dans la lignée de Jane Austen

Plus tôt en 2017, l'ancien journaliste de Breitbart News Milo Yiannopoulos – aussi, accessoirement, décrocheur du programme de maîtrise en littérature anglaise de Cambridge et polémiste d’extrême droite notoire – a tenté de citer la « romancière victorienne » en affirmant : « C’est une vérité universellement reconnue : une femme moche a beaucoup plus de chances d'être féministe qu'une femme sexy. » Bien qu’il n’ait sans doute jamais lu un seul livre écrit par l'auteure issue de la Régence anglaise, Yiannopoulos a soudainement cru bon, pour une raison obscure, d’utiliser Austen en guise de référence. L'ironie de sa déclaration ne tient pas tant du fait qu’Austen n’était pas une romancière victorienne (elle était déjà morte bien avant que la reine Victoria ne monte sur le trône), mais bien du fait qu’elle soit toujours majoritairement perçue comme une icône proto-féministe, qui critiquait vertement la situation désolante des femmes de son temps. Une recherche rapide révèle que de nombreux auteurs de droite ont tendance à citer Austen dans leur discours haineux, la considérant étrangement comme l’emblème d'une époque « plus simple », où personne ne s'opposait au racisme, où le sacro-saint pharisaïsme du mariage signifiait encore quelque chose, et où les femmes étaient plus soumises (comprendre : complètement dépendantes des hommes).

Le mois dernier, la Banque d'Angleterre a rendu hommage à Austen en lançant un billet de 10 livres sterling à l’effigie de l’auteure, ce qui a fait d'elle la première femme autre que la reine à apparaître sur la monnaie britannique. L’image utilisée est une reproduction à l’aérographe d’un vieux portrait dessiné à la main, dans lequel son visage a été adouci et rendu « plus féminin ». On a remonté ses pommettes et effacé certains traits plus durs, ce qui a valu à la Banque des reproches de la part des fans jugeant cette représentation comme « trop jolie ». Preuve que nul n’est à l’abri de nos caprices esthético-normatifs, même cette bonne vieille Jane – qui était pourtant loin d’être une sex-symbol conventionnelle.

Or, ce n’est pas la première fois qu’Austen est sujette à modification, son héritage ayant été défini par d'innombrables adaptations. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles son œuvre fut si largement adulée – et incomprise. Elle a laissé sur le monde une marque indélébile, et son travail continue de séduire même les adeptes les plus improbables. Qu’on l’apprécie pour ses personnages empreints de force féminine, luttant sans relâche pour distinguer les hommes-enfants des maris potentiels, ou pour son projet politique hautement incompris, Jane Austen persiste et signe.