Notre rétrospective mode 2017: Du maillot de Colin Kaepernick au pull à capuche Kering de Balenciaga

L’équipe de SSENSE observe les tendances culturelles majeures et les vêtements qui ont défini 2017.

  • Texte: L'équipe de rédaction de SSENSE

2017 fut indéniablement une année tumultueuse, tant au niveau politique que dans le milieu de la mode. Bien que les manchettes changent constamment, les vêtements ont cette tendance remarquable à souligner des moments spécifiques – qu’on le veuille ou non. Pour notre rétrospective, nous avons assemblé une liste de 11 vêtements particulièrement mémorables qui ont non seulement marqué 2017 mais qui pourraient aussi nous éclairer sur l’année à venir.

LE MAILLOT DE COLIN KAEPERNICK

Lorsque l’ancien quart-arrière des 49ers de San Francisco Colin Kaepernick a débuté sa manifestation silencieuse contre l’oppression raciste en Amérique – d’abord en s’asseyant, puis en s’agenouillant lors de l’hymne national précédant les parties de football américain – son maillot est devenu bien plus que le porte-étendard de son nom et de son numéro. Il est devenu pour plusieurs un symbole de défiance flegmatique, la reconnaissance d’une injustice intergénérationnelle encore en cours. C’est ce qui explique, bien que Kaepernick n’ait pas joué au cours de la dernière année, que son maillot d’équipe demeure l’un des meilleurs vendeurs de sa ligue. C’est aussi la raison pour laquelle Jay Z a porté une version sur mesure lors d’une apparition à Saturday Night Live. La raison pour laquelle il est actuellement accroché au MoMa. La raison pour laquelle Trump persiste et publie à ce propos sur Twitter plutôt que se concentrer sur les milliers de choses (littéralement) qui exigeraient son attention en tant que chef d’État. Le maillot de Kaepernick est le symbole d’un nouveau chapitre de l’histoire qui est en train d’être écrit.


LE PULL A CAPUCHE KERING DE BALENCIAGA

Balenciaga a dévoilé en janvier un pull à capuche Kering dans le cadre de sa collection automne/hiver 2017. Kering est un conglomérat de biens luxueux, suivant de près LVMH en termes d’influence et d’importance avec un portfolio incluant Balenciaga, Saint Laurent et Gucci, pour ne nommer que ceux-ci. Le pull a provoqué des remous dû à son côté ironique et franc. Business of Fashion a dédié un article complet à son sujet. Comme de nombreuses bonnes blagues, le pull à capuche est devenu déprimant à force de circuler. C’est un impassible clin d’œil aux superstructures corporatives qui tiennent maintenant lieu de protagonistes internationaux, aux dépens des États souverains. « Je travaille avec la réalité, » expliquait le directeur créatif Demna Gvasalia à Vogue après le défilé. « C’est simplement honnête. C’est ce qui se passe autour de nous. » L’aptitude de la mode à capturer des courants socioculturels et les transformer en format à porter est ce qui en fait un artéfact d’aussi grande valeur. Gvasalia a, de ce point de vue, accompli un travail impeccable : le pull nous rappelle l’influence grandissante des entreprises qui façonnent pratiquement tout autour de nous. C’est un arrêt sur image documentaire. Toutefois, nous avons aussi besoin de créateurs avec la capacité d’imaginer de nouvelles possibilités.


LA BASKET NIKE AIR MAX 97

Quelles baskets illustreraient mieux le fait que 2017 fut l’année du «peak-retro» - un terme inventé par l’unique Gary Warnett – si ce n’est la Air Max 97 ? Grâce à la campagne agressive célébrant le 20e anniversaire de Nike, au soutien d’influenceurs et de célébrités, au re-design imaginé par Skepta et aux magasins Nordstrom du monde entier renfloués en marchandise, le grand public a découvert ces nouvelles chaussures à succès, faisant ainsi de 2017 « l’année Air Max ». Les Air Max 97 ont toujours été significatives pour ceux qui suivent la culture des baskets, mais cette année, la résurrection de la culture des années 90 fut englobante et absolue. Les techniques marketing de Nike, par exemple, ne sont pas parvenues à offrir le même succès aux Cortez. Peut-être parce que les années 70 sont trop rétro? Peu importe, 2018 nous permettra sans doute de voir plusieurs marques, indépendantes comme internationales, plonger dans les profondeurs de la quête de pertinence, à la recherche d’une parcelle de nostalgie. La question se pose toutefois; que reste-t-il?


LE PONCHO DE GEORGE BUSH À L’INAUGURATION DE TRUMP

Les situations désespérées exigent des écarts désespérés. Pensez seulement : George W. Bush. Le 43e président a, au cours des dernières années, vécu une réintégration quelque peu rocambolesque (lire ici « stupide, mauvaise, dangereuse, tordue »). Ses toiles de chiots, par exemple. Ou ces tendres accolades de la part de Michelle Obama. Puis, cette année, lors de l’inauguration de Trump en janvier, sa lutte comateuse avec son poncho est – encore une fois, peut-être, née d’un mouvement collectif de colère, deuil et désespoir sur les médias sociaux – devenue virale. On le voit, tyrannisé par un morceau de plastique transparent. Se débattant, semble-t-il, avec la transparence. Était-ce une métaphore? Peut-être une ruse pour nous distraire. Une tendance est-elle née de ce glorieux moment? Tout comme le manteau en fourrure synthétique jaune canari enveloppé de plastique dévoilé cette année par Calvin Klein qui semble, au premier regard, être la combinaison de matériaux la plus étrange qui soit. Transparence synthétique; comme une allusion à l’oiseau idiomatique qui nous prévient d’un danger imminent, de détériorations et de perturbations à la sauce Tr**p. Alors qu’en est-il de la décision vestimentaire effrontée de porter ses housses à vêtements plutôt que de s’en débarrasser? À une époque où règnent les filtres, les modifications, les angles flatteurs et tout ce qui n’est pas montré, l’acte même d’étaler ce qui est transparent est devenu la ligne directrice de 2017.


LE BOUSON ANARCHISTE D’ALPHA INDUSTRIES X BARNEY’S

La mode nous indique souvent ce qui est in mais elle nous indique également ce qui est out. Ce fut notamment le cas lorsque Barney’s (magasin grande surface dont l’adresse principale est située à cinq pâtés de maisons de la tour Trump) a dévoilé un blouson Alpha Industries à 375$ qui semble, à première vue, semble être un accessoire de film antifachiste. Des captures d’écran du blouson sur le site web de la compagnie (dont la taille XXL était liquidée) ont envahi Twitter, accompagnés de commentaires cinglants. C’était le coup fatal – ou le désopilant point bas – d’une machine luxueuse qui survit en s’appropriant la sous-culture et en la transformant en marché lucratif grand public. Pourtant, le blouson de Barney’s est plus accablant pour les rituels esthétiques de l’extrême droite qu’il ne l’est pour l’autoritarisme cabotin de l’industrie de la mode (déjà très bien documenté). Au cours de cette année définie par la résistance numérique, l’habitude d’écrire des messages politiques sur un blouson est aussi désuète et démodée que l’écrire dans une missive livrée par pigeon voyageur. Alors au cours de votre prochain brunch post-manifestation, portez un toast au blouson d’Alpha Industries x Barney’s pour mettre un autre créneau inutile sous les projecteurs à éclairage LED de notre cirque numérique.


LE CABAS DOVER STREET MARKET DE COMME DES GARÇONS

Si vous avez visité l’exposition de Rei Kawakubo au Met cette année sans avoir pu mettre la main sur le cabas en PVC Comme des Garçons, alors êtes-vous vraiment allé? Les employés du siège social de SSENSE ont définitivement reçu le mémo. Le sac enduit de plastique offre une quantité non négligeable d’espace supplémentaire par surface de travail. Le sac offre aux travailleurs de la génération Y un nostalgique retour à l’âge de la boîte à lunch – rappelez-vous la file d’étudiants devant l’autobus scolaire, chacun tenant à la main un sac à lunch froissé et humide. Son attrait réside possiblement dans sa capacité 2.0 à dissimuler son taux d’usure. Le sac se chiffonne inévitablement et s’use avec le temps, mais il gagne du caractère et renforce son identité en conservant une apparence impeccable. Bien qu’abordable à l’origine, il n’est pas étonnant que le cabas se vende à plus de cinq fois son prix original sur eBay ou Grailed. L’art de terminer l’année 2017 en augmentant son facteur « cuteness » est définitivement une compétence à prendre pour emporter.


LA ROBE PALOMO SPAIN DE BEYONCE QUI NOUS PRESENTE SES JUMEAUX

Les fans de Beyoncé ont cette année reçu deux belles nouvelles. Tout d’abord avec l’annonce de sa grossesse, qui a déclenché une avalanche d’appréciation sur Instagram (il s’agit de la photo la plus populaire de l’année sur la plateforme), affirmant ainsi l’existence de l’amour à l’époque de « covfefe ». Environ neuf mois plus tard, elle a de nouveau arrêté – ou du moins, redirigé – le trafic internet en partageant une photo afin de nous présenter ses jumeaux. Sir Carter et Rumi sont blottis au creux de ses bras comme des chatons et l’image évoque un idéal de féminité divine forçant l’émerveillement. Enveloppée d’organza de couleur vive, debout devant un paysage ridiculement idyllique de bord de mer, Beyoncé est forte et lumineuse. Une vision maternelle suprême. Un ange au halo fleuri. L’origine du monde. Elle est un bastion d’espoir romantique et de gloire reproductrice apparaissant comme une déesse à la Botticelli, voilée et ornementée. Et elle arrive à tout cela vêtue d’une robe (transformée en peignoir) originalement dessinée pour les hommes par la marque espagnole Palomo Spain, prenant ainsi discrètement position en faveur de l’abolition des genres.


LES LUNETTES DE SOLEIL SAINT LAURENT SL 98 CALIFORNIA (ALIAS « CLOUT GOGGLES »)

Bien que nous ayons déjà déterminé que les lunettes de soleil sont les gardiennes de nos âmes, elles sont également un valable indicateur de tendances afin de prendre le pouls de l’humeur ambiante actuelle. La visière visuelle de choix de l’année 2017 fut sans contredit la SL 98 California de Saint Laurent, une réplique des fameuses lunettes de soleil Christian Roth portées par Kurt Cobain, connues sur le web sous le nom de «clout goggles». Comme toutes les suites tardives (Oui bonjour, Blade Runner?), les «clout goggles» nous en disent plus long sur le présent que sur le passé. Cette nouvelle version a pour personnage principal Cobain lui-même, une personnalité qui représente la conscientisation pré-internet souvent citée des années 90, tout comme sa relation tortueuse (et ultimement fatale) avec la célébrité. Si la décennie actuelle est celle de la célébrité instantanée sur Internet, 2017 fut l’année de la réalisation collective des dommages et du ressentiment causés par une existence sous les projecteurs. Les « clout goggles » personnifient ainsi le tumultueux troisième acte de la E! True Hollywood Story de notre ère.


LE BLOUSON EN DENIM 'FALLING-OFF-THE-SHOULDER' DE MATTHEW ADAMS DOLAN

Tout le monde se souvient bien du moment où le web a été envahi d’images de rédacteurs mode portant leurs blousons tout juste déposés sur leurs épaules, manches tombantes vides se balançant sur les côtés ? Ce tour de force de stylisme en a séduit plus d’un, devenant un symbole contradictoire de nonchalance étudiée. Le climat politique d’avant 2016 était quelque peu stable, pas encore chamboulé par les bouleversements radicaux de pouvoir à venir. Si la tendance de 2016 était l’attitude nonchalante et posée, celle de 2017 était de tomber en morceaux. Cette année, les blousons surdimensionnés et les hauts sont ouverts au cou pour dévoiler les épaules et les clavicules. Cette esthétique est à la fois symptomatique de stress, des encolures étirées et Rihanna qui marche de son hôtel vers sa voiture. Il s’agit d’avoir juste assez d’espace pour méditer. Les situations désespérées exigent des silhouettes XXL et ce n’est pas une coïncidence si cette année nous avons vu le guide des tailles glisser des épaules.


LE CHAPEAU DE PLAGE JACQUEMUS

Rien n’exprime mieux les loisirs extérieurs raffinés qu’un chapeau ombrageant de façon instable le visage en tremblant à la moindre brise. Si délicat qu’il faut l’attacher. S’échappant d’une hyper-saturation technologique, les adeptes du pique-nique moderne pourraient se vêtir de la plus récente version de cet accessoire archaïque, espérant ainsi enrichir leurs expériences dans les sanctuaires bucoliques visités. Mais si personne n’est là pour le voir, avez-vous vraiment revêtu votre costume? Voilà l’arrivée des « Instagram stories », qui initialement n’ont pas provoqué autre chose que des ondulations avant de se transformer en véritable tsunami en 2017. Chaque moment de nos vies a soudain gagné en pertinence, même les actions en direct. Peu importe la contrée lointaine dans laquelle vous séjournez, la technologie affirme que ce n’est pas spécial tant que vous ne le partagez pas. « Une photo ou ce n’est pas arrivé » semble s’appliquer aux hypocrites qui s’installent hors réseau, également. Qu’il soit déposé sur une couverture, baigné de soleil avec une assiette de figues tranchées et de gorgonzola, cousu avec tant d’autres pour former une robe ou porté de manière étrange par Kendall Jenner sur un yacht, le chapeau de Jacquemus est un message codé pour les médias sociaux idylliques-mais-pas-trop.


LE T-SHIRT « LOL » DE LA PRÉSUMÉE ASSASSINE NORD-CORÉENNE

Vient un moment dans votre vie où vous réalisez que les enfants de votre génération sont devenus les adultes du monde entier. Des anciens gamins de l’école primaire deviennent parents ou décrochent des emplois les obligeant à prendre des décisions avec une portée politique, vous forçant ainsi à réaliser votre état « d’adulte ». Puis le demi-frère d’un dictateur nord-coréen est assassiné dans un aéroport (peut-être) par une femme de votre âge vêtue d’un t-shirt orné du mot LOL, et vous réalisez que puisque vous êtes un enfant du millénaire, vous êtes devenus un adulte dans un monde où tout ce qui revêt une importance quelconque a la possibilité d’être réduit instantanément en un slogan internet, imprimé sur un t-shirt et vendu pour un montant exorbitant d’argent.

  • Texte: L'équipe de rédaction de SSENSE