L’ode aux plongeuses Ama

de MARIEYAT

Marie Yat discute « pole dancing », pêche à la perle et corps féminin

  • Entrevue: Rosie Higham-Stainton
  • Photographie: Nicolas Coulomb & Florence Tétier
  • Casting: Leila Azizi

Pour sa troisième présentation, la designer Marie Yat a transformé son studio de Shoreditch à Londres en une espèce de sous-marin, échelle de profondeur et bouteilles de plongée incluses.

Un casting diversifié de modèles ont révélé des culottes taille haute avec œillets révélateurs, des hauts à bretelles tordues et des maillots de bain épurés aux teintes variant du blanc tuile de piscine au bleu océan en passant par l’orange brûlé. Une version moderne des plongeuses Ama japonaises, quoi. S’inspirant de ces femmes fortes et habiles qui nageaient dans les eaux sombres à la recherche de perles, Yat a fait appel à une équipe presque entièrement féminine (relations publiques, casting, musique, etc.) pour réaliser et présenter sa collection. L’esthétisme des pièces MARIEYAT dévoilées ce jour-là fait montre d’une indifférence totale à la perfection. « Il n’est pas nécessaire que tout soit à sa place. Ça n’a pas besoin d’être symétrique », explique Yat. « Ça reflète ma vision du corps féminin. »

Une semaine plus tard, au quartier général de la marque, les contrecoups du défilé se font toujours sentir. La designer, née à Hong Kong et installée à Londres, vit sa post-présentation avec un mélange de soulagement et de nostalgie. Depuis ses débuts, sa carrière avance lentement mais sûrement, sans jamais s’essouffler. En effet, celle qui a fait ses premières armes aux côtés de Yang Li est maintenant à la tête d’une marque de sous-vêtements dont Solange Knowles et Kylie Jenner raffolent. Sa philosophie? Simplicité et confort, sans toutefois négliger l’esthétique. « Dans une industrie où, jusqu’à tout récemment, les seuls sous-vêtements sur le marché étaient soit sexy, soit fétichistes ou carrément grand-mère », le style MARIEYAT est unique. « J’ai envie de créer quelque chose pour des gens qui ne se reconnaissent dans aucune de ces catégories », explique la créatrice.

Rosie Higham-Stainton

Marie Yat

C’était vraiment chouette de voir une équipe presque entièrement féminine, composée de vos amies, travailler sur la présentation.

Oui, la majorité des membres de l’équipe étaient des femmes. C’était voulu.

La solidarité féminine, faire un boulot où l’on peut travailler ensemble… tout ça reflète plutôt bien la réalité des plongeuses Ama, n’est-ce pas?

C’est vrai. Je crois que c’est très naturel pour la marque de travailler avec des femmes. En tant que femmes, nous méritons ces opportunités et nous nous devons de les créer. C’est important de pouvoir compter là-dessus. Les Ama japonaises étaient toutes des femmes; elles plongeaient en apnée à la recherche de perles et de fruits de mer. Ça m’a interpellée parce qu’il s’agissait d’une communauté puissante. J’ai regardé des photos prises par Fosco Maraini, un photographe italien, dans les années 50. Elles n’avaient pas de bouteilles d’oxygène, ne portaient qu’un pagne, et s’attachaient une corde à la taille par mesure de sécurité. Ces femmes passionnées de plongée m’ont intriguée. C’était leur gagne-pain, bien sûr, mais ça allait plus loin que ça. Tout s’est arrêté dans les années 50, d’un seul coup. Une compagnie a voulu faire un coup de fric avec ça, et a offert des combinaisons de plongée et de l’équipement à ces femmes. Du coup, c’est devenu tabou pour elles de faire ce genre de chose, les seins nus surtout, dans cette société de plus en plus occidentale qui était en train de voir le jour.

Comment vous êtes-vous approprié cette référence — les plongeuses Ama — et l’avez-vous modernisée?

Je me suis imaginé le genre de sous-vêtements que les plongeuses Ama porteraient aujourd’hui. Si vous regardez des vidéos d’elles, vous verrez qu’elles resserraient toujours leur corde juste avant de plonger à 30 mètres de profondeur. Je voulais vraiment transposer ce resserrement dans les pièces. C’est pour ça que nous avons des culottes avec des cordes circulaires.

Comment le confort peut-il cohabiter avec la sexualité? Dans l’industrie du sous-vêtement, les deux concepts semblent souvent s’exclurent l’un l’autre.

Je crois qu’il est possible de les conjuguer, et c’est ce que j’essaie de faire. Le but n’est pas de tomber dans l’hypersexualisation, mais bien d’aborder la sexualité avec le confort en tête. Et les femmes doivent réaliser par elles-mêmes que c’est ce qu’elles veulent, plutôt que d’avoir un homme qui leur dit: « C’est vraiment sexy, tu devrais acheter ça. » Bien souvent, les gens trouvent que nos images sont provocantes, mais nous ne le faisons pas de façon agressive. Il faut démontrer un point de vue intéressant. C’est pour cette raison que nous travaillons avec des femmes photographes comme Ronan Mckenzie.

Selon vous, est-ce possible d’avoir une sexualité satisfaisante sans pour autant être sexualisé?

Moi, je cherche plus à faire des sous-vêtements que les femmes seront à l’aise de regarder et de porter. Elles sont libres de porter ce qu’elles veulent, mais il faut réfléchir à ce que nos choix signifient pour éviter cette objectification.

Je pensais à ces plongeuses qui étaient bien dans leur peau et qui ne faisaient pas de leur nudité un spectacle.

Oui, si vous regardez des vidéos sur YouTube, vous verrez qu’elles ne posaient pas devant la caméra. Elles faisaient seulement leur travail.

La modèle (gauche) porte un tanga MARIEYAT.

Pourtant, dans les années 1800, les plongeuses Ama ont été représentées dans des dessins érotiques, probablement créés par des hommes.

Les femmes sont photographiées et peintes depuis des siècles. Mais aujourd’hui, on peut facilement voir quand une femme est photographiée dans ce seul but, et si elle est sincère ou non à propos de sa sexualité.

La sexualisation de jeunes femmes dans les médias sociaux et dans la culture populaire est omniprésente et commence à un très jeune âge. Croyez-vous que ce que vous faites va à l’encontre de cela d’une certaine façon? Prenez par exemple les dessous de Victoria’s Secret, qui sont aujourd’hui tellement populaires…

J’ai l’impression d’avoir la responsabilité de montrer aux filles qui ne se reconnaissent pas dans ce qu’elles voient autour d’elle ou qui n’aiment pas porter un soutien-gorge _push-up_qu’il existe d’autres possibilités. Plusieurs marques de sous-vêtements commencent à explorer ça. La plupart de nos clientes ont entre 24 et 34 ans, mais des adolescentes s’intéressent aussi aux produits. Du coup, je veux leur proposer autre chose. Lorsque les gens regardent les mannequins que je choisis, je veux qu’ils se reconnaissent plutôt que de souhaiter être quelqu’un d’autre.

Est-ce en partie votre sensibilité féministe qui vous pousse à adopter cette position?

Oui, mais je ne veux pas utiliser le féminisme comme un outil de marketing ou vendre des pantalons sur lesquels il est écrit « Féministe ». Cela doit transparaître dans les détails des pièces.

La modèle (droite) porte un tanga MARIEYAT.

Dans votre ancien studio, vous aviez un poteau de pole dancing.

Les hommes savent qu’ils détiennent le pouvoir de payer pour voir le vagin d’une femme, et je ne suis pas d’accord avec ça. J’ai commencé à pratique le pole dancing en tant que sport. Mon corps m’a toujours intimidée, alors pour moi, comprendre son fonctionnement et ce dont il est capable a été très important. Être dans un studio de danse et me regarder dans le miroir sans me juger; ça a été déterminant. Les filles qui en font sont très fortes physiquement et ne sont pas nécessairement des top modèles, alors j’ai trouvé ça très inspirant. Et ça fait très mal; la peau frotte constamment contre le métal. Du coup, tu ne te sens pas sexy du tout. Mais tu te concentres pour faire une belle figure avec ton corps.

Cette façon de voir le pole dancing est sans doute une analogie de ce que vous avez envie de faire avec votre marque : MARIEYAT est une marque axée sur les femmes et qui s’adresse aux femmes. Puisque vous créez uniquement de sous-vêtements, vous sentez-vous parfois limitée?

Au contraire. Je trouve ma liberté au cœur de ces contraintes. C’est un défi parce qu’il faut présenter ses idées sur très petite pièce de tissu, sans jamais compromettre le confort. Mais j’adore cette liberté, et je travaille avec mon cœur. J’essaie de donner un bon exemple aux femmes et de les aider à se sentir bien. Si je faisais du prêt-à-porter pour femmes, ce sentiment ne serait pas aussi fort.

La modèle porte un tanga MARIEYAT.

La modèle (droite) porte un tanga MARIEYAT.

  • Entrevue: Rosie Higham-Stainton
  • Photographie: Nicolas Coulomb & Florence Tétier
  • Casting: Leila Azizi
  • Modèles: Jess, Yvonne / MiLK Model Management, Alice / MiLK Model Management, Leili / Nevs Models