Libre comme H.E.R
La chanteuse nous parle de ses projets, de son passé et de la bouffe de son père
- Entrevue: Tiana Reid
- Photographie: Emon Toufanian

Paru en août dernier, le nouvel EP de H.E.R., I Used to Know Her: The Prelude, arrive à point nommé. Si elle a lancé plusieurs microalbums depuis 2016, ce dernier consolide sa base de fans inconditionnels – dont Rihanna, Drake et Kylie Jenner – avant la sortie de son tout premier album complet. H.E.R. prononce le «Pre» de «prelude» comme «pray» de «praying» [prier en anglais]. Et l’EP a quelque chose d’une prière; il renvoie à ces gestes quotidiens doux pour l’âme.
Sur la deuxième piste, «Against Me», H.E.R. chante «feelin' a way, nothing’s the same, I think every day that we’re lost» [Il semble que, plus rien n’est pareil, je crois chaque jour que tout est fini]. Les réflexions collectives aident à comprendre le quotidien, c’est pourquoi le dialogue est au cœur de son processus d’écriture – elle discute parfois avec ses amis, parfois avec elle-même, parfois avec des collaborateurs comme Bryson Tiller et Daniel Caesar. Cette approche basée sur l’échange et la révélation rappelle son nom d’artiste, qui est un acronyme composé des mots «Having Everything Revealed».
Pour sa séance photo avec SSENSE dans Brooklyn, H.E.R arrive vêtue d’un haut noir avec les mots «Find your Way» écrits en blanc. C’est à son image, elle parle avec des maximes des années 1990 (c’est une question de musicalité, ma personnalité se transforme, tout fait partie de quelque chose de plus grand), de celles qui réconfortent quand on a le cœur brisé. Nous nous sommes rencontrés et avons parlé musique. Purement et simplement.

H.E.R. porte col ras du cou Balenciaga. Image précédente : blouson Y/Project et leggings Junya Watanabe.
Tiana Reid
H.E.R.
Le titre de ce nouvel EP suggère que le projet est un prélude à ton premier album complet.
Oui, ça l’est.
Pourquoi un prélude?
J’étais en tournée l’an dernier. Comme, littéralement toute l’année. J’ai fait la tournée Bryson Tiller en août, et j’avais pas vraiment le temps de terminer l’album. Tu sais, je n’ai rien lancé depuis Volume 2 – juste des petites choses ici et là. Je voulais vraiment sortir quelque chose entre temps. C’est un aperçu, les gens me le demandaient.
Un snack pour les fans.
Exactement.
Que signifie la première partie du titre? J’ai tout de suite pensé à la chanson de Common de 1994, «I Used to Love H.E.R.». Est-ce qu’il y a une référence?
Il n’y a pas de référence. «I Used to Know Her» a plusieurs sens. Je retourne simplement à moi, plus jeune. Cet album et ce projet appartiennent à quelque chose de plus grand. C’est ma perspective sur la vie à ce jour, sur tout: les relations, l’amour, l’état du monde, tout. À une certaine époque, j’étais comme une outsider, j’attendais mon tour. Tout le monde me laissait de côté ou me sous-estimait, ils se demandaient si j’allais jamais être connue. Et ces mêmes personnes disent aujourd’hui: «Ah, je l’ai connue, on allait à l’école ensemble». C’est tout ça qui se passe.

H.E.R. porte t-shirt Jil Sander, polo Gosha Rubchinskiy et bottes MM6 Maison Margiela.
Plusieurs chansons de l’EP évoquent pour moi les relations amoureuses: «Be On My Way» porte sur l’anticipation; «Could’ve Been», sur les scénarios hypothétiques; «As I Am», sur l’acceptation de la réalité.
Complètement.
J’adore ça. Et, comme tu l’as mentionné, le titre, «I Used to Know Her», nous ramène dans le passé. Tu as grandi dans la Baie [de San Francisco] au sein d’une famille où la musique occupe une place importante; quelles expériences musicales font encore aujourd’hui partie de toi?
Il y en a tellement. Chaque jour, j’y repense, et je me dis, c’est incroyable, rien n’arrive pour rien, ce qui est magnifique. Je me souviens que je me réveillais le matin et j’entendais Prince en concert sur DVD et B.B. King. Mon père préparait le déjeuner, moi je regardais le projet MTV Unplugged de Lauryn Hill; je descendais, je sentais l’odeur du déjeuner, je regardais le concert sur DVD.
Qu’est-ce que tes parents cuisinaient quand tu étais petite?
De tout. Je veux dire, ma mère est Filipino, donc, beaucoup de spécialités philippines. Mes grands-parents vivaient avec nous. Mais, mon père fait beaucoup de soul-food. Il fait de tout. Il est extraordinaire. Il fait le meilleur poulet frit. Personne n’égale mon père quand vient le temps de cuir le poulet.
Cette scène familiale est magnifique.
Ce genre de moments était vraiment important pour moi, et ça fait partie de ce qui m’a rendu si passionné dans mes concerts. Je regardais et j’étudiais l’album Unplugged d’Alicia Keys. Earth, Wind and Fire. Tout le monde. De jouer du piano, de la guitare, de la batterie et de la basse avec mon père sur scène quand j’étais petite m’a préparée à ce que je fais maintenant. À l’époque, je savais exactement ce que je voulais faire, et j’ai gardé le cap.

Quel est ton processus d’écriture ces jours-ci?
C’est tout. Ça n’a jamais changé, une mélodie me vient à l’esprit et je dois l’enregistrer super vite pour ne pas l’oublier. Ou juste en parlant. Je parle et j’écoute les notes de la voix et je les écris. Parfois, une chanson s’écrit toute seule. Parfois, je suis au piano. Parfois à la guitare. Tout peut servir la création avec moi. Je n’ai pas une façon de faire les choses. J’aime vraiment parler. J’aime parler aux gens. Je dois avoir une sorte de connexion avec eux, parce que je leur dis tout sur moi et sur ce que je vis.
La collaboration avec Daniel Caesar semble avoir été vraiment fluide dans ce sens-là.
Oui. C’était organique. Nous avons enregistré cette chanson le jour où nous nous sommes rencontrés.
Vraiment? Wow.
J’étais au studio, je travaillais sur autre chose, en fait, mais la personne avec qui j’étais est partie tôt. La séance a été écourtée, et j’étais toujours là, j’avais envie de travailler. Il est arrivé avec quelqu’un d’autre et ils ont dit: «Hey, H.E.R. – Daniel». Nous avons parlé de la vie, joué de la musique. Il avait sa guitare, j’avais la mienne et nous improvisions, discutions, et c’est juste arrivé, comme ça, organiquement. Nous n’étions même pas censés créer quoi que ce soit. On s’est simplement rencontrés, on a jasé, puis créé cette chanson.
C’est quelque chose de rare, il semble.
C’est rare, mais quand tu n’as pas d’attentes précises, quand tu n’as pas un objectif clair, que tu ne fais que créer, c’est là que les plus belles choses se font.
Comment ça se passe avec le nouvel album?
Bien. Ce sera la suite de Prelude – mais plus développé. J’évolue constamment, ça se reflète dans mon travail. C’est vraiment plus musical.
Que signifie «plus musical»?
Un son plus organique, plus de lignes de basse, plus – je ne sais pas – plus de sons qui ne sont pas de l’époque. Ce n’est pas un projet qui est dans le présent, ce n’est pas dans le passé ni dans le futur. C’est quelque chose que les gens pourront considérer comme intemporel, j’espère.
Tiana Reid est une auteure, candidate au doctorat à l’Université Columbia et rédactrice à The New Inquiry.
- Entrevue: Tiana Reid
- Photographie: Emon Toufanian
- Assistant photographe: Byron Israel
- Stylisme: Kate Carnegie
- Assistant styliste: Simon Fitzpatrick
- Conception du décor: Caroline Absher
- Coiffure et maquillage: Ashley Stewart