À la rencontre des nouveaux nomades

Des créatifs nous parlent de leur vie en mouvement

  • Entrevue: Mary Tramdack

Vivre pour travailler ou travailler pour vivre ? Il devient plus difficile de répondre à cette question avec chaque email professionnel envoyé de la banquette arrière d’un Uber. Une nouvelle tribu de créatifs adhère à ce mode de vie hyperconnecté parce qu’il leur donne la liberté de travailler de n’importe où. Pour ces nouveaux nomades, le voyage n’est pas qu’un avantage, c’est une nécessité. Nous avons demandé à quelques globe-trotteurs créatifs de nous décrire leur style de vie: où et quand ils travaillent, ce qu’ils mettent dans leurs valises, et pourquoi il est important de changer d’air.

PREMIERS PAS

André Saraiva [Artiste/DJ]: Je n’ai jamais vraiment vu mes voyages comme étant des voyages d’affaires. Ce sont plutôt des aventures.

Thomas Welch [Photographe/Éditeur, Highsnobiety]: Mon premier véritable voyage d’affaires a été absolument incroyable: Bangkok. C’était la première fois que j’allais aussi loin. Je n’ai presque pas fermé l’œil de tout le voyage avec le décalage horaire (mais surtout parce que j’étais surexcité). Mon meilleur souvenir est d’avoir pris un quart d’heure pour éteindre mon appareil photo et me recueillir dans un temple. Merveilleux.

Joe La Puma [Directeur de stratégie de contenu, Complex Media]: L’un de mes voyages marquants a été celui du lancement des Jordan XX3 à Chicago. J’étais en début de carrière, et deux employés de Complex n’ont pas pu se déplacer alors j’y suis allé à leur place. On avait nos propres casiers dans le vestiaire des Bulls, ils ont annoncé le nom de tous les journalistes du voyage comme ils le font avant tous les matchs à domicile, et à la fin Michael Jordan est sorti et nous a salué. C’était assez surréaliste. Ça reste un de mes voyages préférés.

Mélodie Hadjadj [Directrice de marketing numérique, Maison Kitsuné]: Mon premier vrai voyage d’affaires est aussi le plus mémorable. J’ai accompagné la responsable A&R de Kitsuné à Londres pour rencontrer quelques partenaires. Inutile de dire que j’ai pris beaucoup trop d’affaires, et je suis arrivée avec une valise alors qu’elle n’avait qu’un sac à dos. J’avais l’impression d’être une touriste, en traînant ma valise à roulettes à nos premiers rendez-vous en arrivant de la gare. Pas très « cool ».

GRANDS VOYAGEURS

TW: Je ne sais pas si je me considère entièrement comme un nomade, mais il y a des périodes où j’ai vraiment l’impression que c’est le cas.
JLP: J’ai eu la chance de voyager avec mes amis grâce à Ronnie Fieg et à Kith, qui créent des boutiques éphémères à travers le monde. Je suis vraiment reconnaissant d’avoir pu découvrir Tokyo, Paris et le Brésil avec certains de mes meilleurs amis. J’anime aussi les vidéos « Sneaker Shopping », dans lesquelles j’emmène des célébrités dans des boutiques de baskets pour discuter avec eux. Le tournage se déroule de façon très spontanée. Si une célébrité a quelques heures pendant sa tournée promotionnelle, on saute dans un avion pour les rejoindre et on tourne l’épisode.

AS: Je ne sais pas si ça fait partie de ma vie professionnelle – c’est plutôt une question de curiosité. J’ai toujours aimé les cultures, les villes et les endroits différents. Je suis comme un gitan: je n’ai pas de racines.

AL: I travel with Je voyage avec Kenzo pour suivre les projets de communication de la marque à travers le monde. C’est une excellente occasion de rencontrer différents acteurs influents que l’on ne voit habituellement qu’à Paris pendant les fashion weeks, et de se familiariser avec la communauté de la marque à l’étranger.

MH: Le voyage permet d’être encore plus conscient du fait que l’on ne représente qu’une infime partie du public-cible d’une marque internationale. On observe comment d’autres cultures interagissent avec les marques, leur façon de s’impliquer et de montrer leur intérêt, et on peut ainsi adapter son message.

ÉQUILIBRE

JLP: Ce n’est pas vrai qu’on est aussi occupé lorsqu’on est en déplacement que lorsqu’on est au bureau. C’est impossible. C’est plus difficile pour moi de travailler loin du bureau, comme j’aime beaucoup déambuler dans les locaux et discuter avec les membres de mon équipe, mais j’ai généralement plus de temps libre quand je suis en voyage d’affaires.

MH: La plupart du temps j’ai un programme chargé, histoire d’en profiter au maximum, donc il y a peu de moments de détente. Quand j’ai le temps de prendre une pause pour boire un jus ou faire un peu de shopping, c’est inespéré. Mais d’une certaine façon, ça représente ma génération. La distinction entre le travail et les loisirs est de plus en plus floue. On se réveille, on lit ses emails professionnels, on répond à quelques-uns; et puis, au bureau, on consulte Facebook et ses emails personnels... et ainsi de suite jusqu’au coucher.

TW: Quand je voyage pour un reportage ou une séance photo, le nombre de tâches à accomplir peut sembler insurmontable. Trouver un équilibre entre le projet lui-même et les emails, les réseaux sociaux et l’édition devient un défi.

AL: Il est parfois difficile de respecter un horaire chargé dans une grande ville qu’on ne connaît pas bien. Un soir, à Shanghai, alors que j’étais très en retard à un événement et que je n’arrivais pas à trouver de taxi en pleine heure de pointe, un inconnu a offert de m’y conduire sur sa moto. J’ai traversé toute la ville avec lui, en robe de cocktail, sans casque et avec un énorme sac d’échantillons. Il roulait sur les trottoirs pour éviter les embouteillages et m’a miraculeusement déposée à l’heure. Sans la générosité de cet homme, je crois que je serais toujours coincée dans un taxi!

AU BOULOT

MH: Quand je suis en déplacement, je travaille principalement sur mon iPhone. Quand on fait un rendez-vous dans un café, c’est beaucoup plus simple de prendre des notes sur un téléphone et de laisser son MacBook trop encombrant dans son sac.

TW: Pour vous donner une idée, je suis en train de répondre à ces questions sur mon ordinateur portable dans un Uber en rentrant chez moi. Merci aux hotspots et aux chauffeurs Uber qui ont des câbles iPhone 6.

JLP: Quand j’étais en Italie il y a quelques mois, j’ai parlé à mon équipe de médias sociaux par FaceTime d’un bateau sur le Grand Canal de Venise.

BOUCLER SES VALISES

TW: J’apporte toujours trop de choses en voyage. La moitié du contenu de ma valise est encore parfaitement plié au moment de rentrer à la maison. Ceci dit, ma valise est toujours hyper-organisée. Merci maman.

AS: Deux paires de chaussettes, un jean, une paire de chaussures, un pull et c’est tout. Et aussi un livre et mon passeport.

AL: Il faut apporter un nombre limité de morceaux qui peuvent se combiner à l’infini. Du noir, du denim, du blanc.

MH: Ça peut paraître évident, mais je n’oublie jamais de consulter les prévisions météo. Il n’y a rien de plus désagréable que de ne pas être confortablement vêtu en fonction de la température.

JLP: Ma meilleure astuce est d’acheter un magazine dans un kiosque à journaux à l’aéroport et de demander le plus grand sac possible. Après, on peut le remplir avec le trop-plein de ses bagages cabine. Le sac plastique peut donc devenir un troisième bagage cabine, ni vu ni connu.

LIBERTÉ

MH: Je n’échangerais ma liberté de mouvement contre rien au monde. Un jour, quelqu’un m’a dit que j’étais une « citoyenne du monde avec des critères parisiens », et je crois que c’est assez juste.

AS: À chaque fois que j’ai découvert une nouvelle ville, j’ai d’abord passé une nuit à me perdre et à découvrir la vie nocturne de la ville. Le fait de ma balader avec ma bombe de peinture et d’observer la singularité de chaque ville nourrit mon imagination. Les enseignes, les néons, la forme d’un immeuble, les panneaux publicitaires – tout ça se retrouve dans mes dessins et mes installations.

TW: Est-ce que le voyage me rend plus créatif ? Je ne pense pas. Je crois que c’est un cliché, qu’on peut être incroyablement créatif de n’importe où. Personnellement, je suis plutôt inspiré sur la banquette arrière d’une Toyota pas trop pourrie. Par contre, je crois que le voyage rend plus ouvert et plus intéressant.

AL: C’est impératif. Je voyage beaucoup depuis mon enfance et je continuerai d’explorer le monde tant que ma santé, mes moyens et mon emploi du temps le permettront.

  • Entrevue: Mary Tramdack