Mise en forme

Les grandes lignes de l’automne

  • Texte: Mary Tramdack
  • Assistance photo: Arkan Zakharov
  • Stylisme: Sasha Wells

En mode, l’espace le plus important n’est pas le premier rang des défilés les plus attendus. C’est l’espace entre le corps et les vêtements qui l’habillent. Redessinées progressivement de saison en saison, les coupes et proportions qui définissent cet espace évoluent presque comme des formes de vie. Une saison, on voit plus de volume aux épaules; la suivante, les tailles se resserrent et les ourlets plongent lentement. Les silhouettes sont des entités vivantes et changeantes. Et comme le démontrent les formes-clé que nous avons identifiées pour l’automne 2015, elles sont particulièrement expressives en ce moment.

Ces formes n’ont pas peur de s’affirmer: affranchies de ce qu’on considère habituellement comme flatteur, elles prennent la liberté de dessiner des lignes sculpturales autour du corps. Pantalons évasés, carrures larges, cocons protecteurs et volumes imposants, les nouvelles coupes voient grand.

ÉVASÉ

Cette saison, il n’a rien de rétro. Le pantalon évasé à la coupe longue et large ne se remémore que vaguement ses prédécesseurs des seventies – il doit davantage au rave qu’au rock. Il fait référence aux formes amplifiées du sportswear des années 90, mais dans le contexte d’une étude de proportions contemporaine. En lainage de costume avec pinces et plis, les jambes amples de Marni semblent interroger les limites du détournement. Superposées d’une jupe, elles se campent fermement en 2015: volume sur volume.

CEINTURÉ

En soi, une taille marquée n’a rien de nouveau. Mais dans le contexte androgyne du prêt-à-porter masculin de l’automne, elle prend un nouveau sens. Les tailles ceinturées des vestes de safari et uniformes militaires vintage reviennent pour équilibrer des carrures et jambes larges, mais cette fois-ci avec une touche de délicatesse qui circonscrit des volumes flottants. Rentré dans un pantalon à taille haut de J.W.Anderson et sanglé par un sac-ceinture de Toga Virilis, un blazer à fines rayures Comme des Garçons Homme Plus ajoute une patte de boutonnage oblique à l’équation: une subversion des codes masculins qui paraît toute naturelle. Ces formes dessinent un nouveau power suit pour une ère plus fluide.

CARRÉ

Si on reportait les proportions des manteaux de l’automne sur un graphique, on verrait les contours de la silhouette s’agrandir dans toutes les directions: épaules, ourlets, encolures. Mais le tout est ancré sur une carrure nette et large. Lorsqu’elle est bien coupée, elle apporte définition et présence imposante, et structure les longueurs. À preuve, les maxi-manteaux Raf Simons qui étayent une collection décrite par le créateur comme « la jeunesse sur un piédestal ». Avec des notes de déconstruction et des silhouettes qui rappellent les débuts anversois de Simons, ils endossent une allure nostalgique.

ENVELOPPANT

Protection et confort: deux mots qu’on n’associe pas spontanément à la mode avant-gardiste japonaise. Mais la silhouette enveloppante en forme de cocon qu’élabore Junya Watanabe dans sa collection Automne-Hiver doit bel et bien son attrait à ces deux qualités. Une cape zippée formée de plis tridimensionnels étreint les épaules dans un volume ovale à la fois souple et rigide, structuré et aérien, organique et mathématique. Il évoque le rôle protecteur du cocon envers l’insecte qu’il contient. Mais la réputation d’éternel expérimentateur – et de protégé de Rei Kawakubo – qu’on prête à Watanabe laisse deviner que l’exploration des formes est pour lui une démarche à part entière, une fin en soi.

AMPLE

Après des années de silhouettes ajustées, on assiste au retour du balancier. Les créateurs redécouvrent le confort et la fluidité du pantalon large, en plus de son indéniable prestance. Et aux mains du Londonien Yang Li, il devient aussi majestueux qu’une robe de bal. Il emprunte le souffle lyrique et le romantisme brut des volumineuses jupes qu’on associe au créateur. Mystérieux et imposant, le volume fait rêver. C’est le vêtement loin du corps, qui se fait armure plutôt que seconde peau.

ÉPAULÉ

Est-ce le retour du power suit? Les épaules prennent une ampleur jamais vue depuis la fin des années 80. L’effet est indéniablement imposant, mais cette fois-ci avec une certaine douceur. Un manteau Acne Studios en laine contrecollée bleu clair trace un ensemble de courbes: des épaules arrondies font écho aux lignes d’une taille marquée et de pinces incurvées, le tout souligné de laçages inusités. Une nouvelle façon d’envisager le volume, toute en subtilité.

  • Texte: Mary Tramdack
  • Assistance photo: Arkan Zakharov
  • Stylisme: Sasha Wells