Synesthésie

Quand nos pupilles se dilatent, c’est généralement parce qu’elles sont avides de recevoir plus d’information sur quelque chose qui a capté leur intérêt – qu’il s’agisse d’une source de lumière ou d’une rencontre qui nous chavire. Ces minuscules trous noirs prennent alors de l’expansion afin d’attirer vers elles ce qui les intrigue. Or, pour certains, l’information qui pénètre par le regard a le pouvoir de stimuler leur sens du toucher, ou même du goût. De par sa nature imperceptible, ce phénomène neurologique – appelé synesthésie – est pratiquement absent des encyclopédies et autres ouvrages scientifiques. Il suffit toutefois de s’entretenir avec quiconque ayant déjà expérimenté cette stimulation involontaire d’un de leurs sens par l’entremise d’un canal sensoriel différent pour avoir un tout autre son de cloche. Quand on peut entendre les couleurs ou littéralement sentir la colère, une balade au parc peut se transformer en une véritable overdose de stimuli sensoriels.

Souvent dépeinte comme une féérie de couleurs, de motifs et de sons s’enchevêtrant voluptueusement dans une grande fresque romantique, la synesthésie est hélas loin d’être cette fête foraine des sens à laquelle on voudrait parfois nous faire croire. Elle prend plus souvent la forme d’une saturation sensorielle pénible, d’une migraine ou d’un lendemain de veille lancinant. Une tension qui ne fait que s’amplifier alors qu’on tente de discerner la glace fondue d’un talon en résine translucide, ou que des plumes délicates et volatiles chatouillent des lèvres luisantes couvertes de gloss visqueux. Comme si l’on anticipait les possibles au moment même où ceux-ci se produisaient. Quelle que soit la nature du stimulus, le résultat ultime est toujours le même : sensationnel. La photographe Rebecca Storm matérialise ici cette condition particulière à travers des juxtapositions de couleurs et de textures hors du commun, afin de célébrer visuellement tout ce que nos sens – aussi embrouillés soient-ils – ont à nous apprendre.