Expérience utilisateur : la nouvelle boutique Rick Owens de New York

Une caverne préhistorique pour Millenials

  • Texte: Esther Choi
  • Photographie: Esther Choi

It must be admitted that Rick Owens' meteoric rise in the high spheres of fashion has always escaped me a little. Perhaps it is a question of generation. Owens began to showcase himself as a designer in 1997. At the time, my dress style was getting closer to the "sporty goth" look that has since become the signature of his streetwear label, [DRKSHDW] (https: // www .ssense.com / en-us / men / designers / rick-owens-drkshdw). Definitely pouring more into the Gothic rather than the sporty penchant, I was a true cliché, a pure product of nineties: pale, misunderstood, and finding comfort only in the emo groups and black metal that I made resonating in my basement suburban. But the '95s were not only the golden era of sulky pout and dramatic poses. It was also that of anti-corporate politicailleries, fanzines, sarcasm and cultural theories. In fact, the worst label that anyone could stick to was "sold". Clothes like music were still - perhaps for the last time - the foundation stones of subcultures united by the same values.

Rick Owens a ainsi fait son entrée dans le paysage mode au moment précis où un virage culturel s’apprêtait à s’opérer, l’attirail typique des communautés punk et métal se retrouvant peu à peu sur les tablettes des grands magasins, absorbé par la culture et la consommation de masse. Grand maître de la réappropriation, Owens est parvenu à transposer l’éthos artisanal et improvisé propre à l’expression de ces contre-cultures pour en faire le cœur de sa marque – une géante mondiale générant aujourd’hui un chiffre d’affaires de trois milliards de dollars. Depuis, Owens s’est élevé à la tête d’une vaste communauté d’adeptes – avec notamment plus de 609 000 followers sur Instagram – se mouvant au son de Byrell the Great ou de Dat Oven dans leurs pantalons sarouels en cachemire. Sa signature est reconnaissable à travers tous les aspects de sa marque. Il y a d’abord les tissus : des masses sombres et drapées aux proportions contrastantes et aux silhouettes sculpturales. Il y a les défilés : des spectacles à grand déploiement où des déhanchements sensuels, des danseurs hip-hop, des chutes d’eau en styromousse et des modèles laissant leurs organes reproducteurs se balancer librement sont au rendez-vous. Puis il y a Owens lui-même : performant, controversé et toujours prêt à provoquer, comme il l’a encore une fois démontré dans le récent vidéoclip de Christeene intitulé Butt Muscle, où on l’aperçoit avec ses longues tresses noires enfoncées dans le troufion de l’artiste.

Quand la rumeur voulant qu’Owens s’apprête à ouvrir sa neuvième boutique phare dans SoHo a commencé à circuler l’an dernier, les attentes étaient donc très élevées. Bien que son ancienne boutique d’Hudson Street fût plutôt dépouillée et dénuée d’artifices, plusieurs espéraient que le nouveau repère du designer revête un aspect plus théâtral, à l’image de celui que l’on a pu voir pisser dans sa propre bouche sur une photo composite. Ses autres boutiques comportaient certes des éléments que l’on eût pu qualifier de « décalés », comme cette statue de cire représentant Owens en tenue d’Adam pissant sur le plancher de son siège social de Paris. D’autre part, le designer semble aussi accorder une certaine importance à l’architecture. Dans une entrevue accordée à 032c, il a d’ailleurs décrit la mode comme le premier pas vers l’architecture.

Et pourtant, quand j’arrive au repaire d’Owens, la façade d’un vert terne et sans éclat – vestige de sa dernière vocation en tant que magasin d’échelles – et la modeste signature d’Owens à la fenêtre laissent présager un lieu plutôt fade et désincarné, plus près d’un loft urbain que du royaume de Sauron. Un vendeur à la vingtaine pétillante voltige jusqu’à moi. Nous échangeons quelques banalités alors qu’une clientèle éclectique d’hommes entre deux âges et de jeunes adeptes de streetwear affublés de costumes carnavalesques s’attarde devant les étalages. « Quelle est votre clientèle type, au juste? », que je m’enquiers, confuse. « Beaucoup de créatifs de 40-50 ans», claironne-t-il, « et bien sûr beaucoup de performeurs, comme des rappeurs et des musiciens. » Cette clientèle polarisée – à la fois discrète et spectaculaire – semble être à l’image de ce qui a inspiré le design du magasin. Imaginé par Michèle Lamy – créatrice de mobilier, femme et « fée-sorcière » d’Owens –, le décor est sis entre des murs blancs et un plancher de béton tout ce qu’il y a de plus normatif. À l’exception d’une cage d’escalier en ciment monumentale divisant la boutique en deux, la géométrie des lieux semble être restée intacte.

Dénotant à la fois une sensibilité et une indifférence totale à la notion d’artisanat dans son sens le plus minutieux, leurs créations sont aussi charmantes qu’insupportablement étranges.

Or, on perçoit clairement, à travers certains détails plus subtils, un désir de puiser dans la trame narrative « tribale », sombre et minimaliste propre à la marque d’Owens, ici projetée sous forme d’une esthétique lifestyle plus accessible. L’espace est ponctué de pièces de mobilier – pour la plupart dessinées par Lamy – alliant pierre, jeux de reliefs et formes animales, desquels émane une aura préhistorique. Même les dalles de béton ont un fini patiné. Dans un style tout à fait brutaliste, les matériaux parlent au consommateur de par leur présence même plutôt que par l’entremise d’un amalgame d’éclairages dramatiques et autres effets spéciaux.

L’ameublement sculptural d’Owens et de Lamy constitue la pièce maîtresse du décor, peuplant le premier étage comme autant de points de repères fantaisistes guidant le visiteur à travers une jungle de sacs à main, de chaussures emblématiques et d’articles ménagers. Faisant à la fois office d’étals et de sièges, ces blocs de roche multifacettes sont faits et recouverts de matériaux inusités : peau de chameau, béton, marbre, contreplaqué, albâtre, polystyrène... Bien qu’Owens se soit initié au design de mobilier dès 2007 afin de décorer sa maison comme ses boutiques, ce n’est que tout récemment qu’il a commencé à commercialiser ses créations en tant qu’extension de sa marque. Initialement, ce nouveau magasin a d’ailleurs été pensé en tant qu’espace expérimental qui permettrait de tester les prototypes de meubles qui feraient partie de l’exposition d’Owens et de Lamy, présentement en cours au Musée d’art contemporain de Los Angeles. Les fameux sièges en mousse sculptés d’Owens, reprenant la célèbre forme dentelée utilisée dans ses designs précédents, sont maintenant offert en formats simple et double – les versions peau de chameau se détaillant autour de 30 000 €. Le thème paléolithique se retrouve aussi à travers la gamme d’articles ménagers offerts en magasin, comprenant notamment des pots en terre cuite confectionnés sur commande ainsi que des assiettes et de la coutellerie faites de cuivre sterling et d’os. Leur grotte est aussi dotée d’une cheminée en pierre totémique nichée à l’arrière du magasin, faisant écho à l’immense colonne de verre, d’acier et de cristal s’érigeant près de l’entrée.

On retrouve un même esprit de contradiction dans les vêtements d’Owens comme dans les objets design de Lamy, qui se font écho dans leur aversion du détail. Dénotant à la fois une sensibilité et une indifférence totale à la notion d’artisanat dans son sens le plus minutieux, leurs créations sont aussi charmantes qu’insupportablement étranges. C’est justement cette imperfection même qui fait le charme des meubles de Lamy, aux allures d’artéfacts tout droit sortis de l’ère préhistorique. Lamy s’est efforcée de conserver l’aspect brut et les aspérités des rebords, ces lignes imparfaites se retrouvant subtilement à travers toutes les strates du décor, dans les profonds interstices que l’on retrouve un peu partout dans le magasin, que ce soit sur le sol, sur les murs, dans l’escalier, les miroirs, et même jusqu’au plafond et aux montants des portes des cabines d’essayage. La géométrie du magasin semble être l’œuvre d’un sculpteur, des néons encastrés à la rampe incrustée de l’escalier. Au deuxième, un espace plus traditionnel abrite les collections prêt-à-porter d’Owens et des miroirs biseautés reflètent l’éclairage fluorescent à la façon de faisceaux laser. Alors qu’on se faufile entre les étalages, tout concourt à amplifier le poids, les textures et l’aspect physique des matériaux qui composent le décor.

Tout comme la mode a le pouvoir de s’approprier un uniforme et de le détourner de sa fonction première, les matériaux et le contexte sont abordés avec un même sens de la transfiguration et de l’irrévérence. Dans les objets de Lamy, le cérébral et l’animal cohabitent en toute fluidité. Au rez-de-chaussée, des rochers de mousse côtoient un panneau de cristal poli de 1,5 tonne importé du Pakistan – le plus gros spécimen du genre aux États-Unis. Parfois, la mousse ressemble à s’y méprendre à de la vraie pierre, alors qu'on croirait que les pierres précieuses sont faites de mousse. Malgré le caractère archéologique des lieux –un style qui tapisse aussi le fil Instagram du designer, peuplé de poteries et autres objets décoratifs dignes de figurer dans un musée –, tous ces objets ont été créés de la main d’artisans bien de notre temps. Ces artéfacts modernes se distinguent de par leur construction contemporaine, tout en semblant vouloir s’inscrire dans une autre époque que la leur. Dans ce paradis pour troglodyte, le synthétique et l’organique, tout comme le passé et le présent, se conjuguent et se confondent.

Après tout, le terme préhistorique ne porte-t-il pas en lui-même l’idée d’être encore dépourvu d’histoire?

Sitting on a marble chair on the second floor, I contemplate the "primitive urban" decor carefully tied by Lamy - a _lifestyle cave with a vision as unattainable as irresistible, imprinted by this love of fantasy and frills so dear in the middle of the fashion. It is at this moment that one of the mirrors sends me back my own reflection, that of a young girl in jumpsuit of designer expressly conceived to look like a worker's uniform, reminding me of the propensity of fashion for cultural subversion. In this post-internet era, modern-day hunter-gatherers - Millenials with epicure, craft and limited editions - have lent allegiance to different religions, from coffee roasting to high-end primitivism 'Owens and Lamy. Their SoHo shop honors this theme by tapping into our primal capitalist desire to extract a more authentic meaning. His primitive narrative narrative reminds us of our lost liberties, of his insistence on the notion of an eternal present (after all, does the term prehistoric not carry within itself the idea of ​​being still devoid of " history) and perpetual novelty, our desire to reinvent ourselves, and our drive to free ourselves from the social norms, rules and expectations of society. While the Owens parades serve as ritual ceremonies for the members of his clan, the sanctuary created by Lamy is their counterpart: a habitat tailor-made for the city-dweller of Cro-Magnon. His primitive narrative narrative reminds us of our lost liberties, of his insistence on the notion of an eternal present (after all, does the term prehistoric not carry within itself the idea of ​​being still devoid of self- history) and perpetual novelty, our desire to reinvent ourselves, and our drive to free ourselves from the social norms, rules and expectations of society. While the Owens parades serve as ritual ceremonies for the members of his clan, the sanctuary created by Lamy is their counterpart: a habitat tailor-made for the city-dweller of Cro-Magnon. His primitive narrative narrative reminds us of our lost liberties, of his insistence on the notion of an eternal present (after all, does the term prehistoric not carry within itself the idea of ​​being still devoid of self- history) and perpetual novelty, our desire to reinvent ourselves, and our drive to free ourselves from the social norms, rules and expectations of society. While the Owens parades serve as ritual ceremonies for the members of his clan, the sanctuary created by Lamy is their counterpart: a habitat tailor-made for the city-dweller of Cro-Magnon. the prehistoric term does not carry in itself the idea of ​​being still devoid of history?) and on the perpetual novelty, our desire to reinvent ourselves, through our drive to free ourselves from the norms social conditions, rules and expectations of society. While the Owens parades serve as ritual ceremonies for the members of his clan, the sanctuary created by Lamy is their counterpart: a habitat tailor-made for the city-dweller of Cro-Magnon. the prehistoric term does not carry in itself the idea of ​​being still devoid of history?) and on the perpetual novelty, our desire to reinvent ourselves, through our drive to free ourselves from the norms social conditions, rules and expectations of society. While the Owens parades serve as ritual ceremonies for the members of his clan, the sanctuary created by Lamy is their counterpart: a habitat tailor-made for the city-dweller of Cro-Magnon.

  • Texte: Esther Choi
  • Photographie: Esther Choi