Richard Prince, Doug Abraham, Instagram
What’s Appropriate Appropriation?
- Texte: Mary Tramdack

Quand on diffuse son travail sur Internet, on ne sait jamais où il va se retrouver.
Parfois, la réponse est « sur les murs de la Gagosian ».
C’est ce qui est arrivé à SSENSE en septembre, lorsque nous avons visité l’exposition « New Portraits » de l’artiste Richard Prince à la succursale new- yorkaise de la galerie, et repéré une image très familière parmi les 38 photos Instagram récupérées qui la composent: des clichés puisés dans l’application, commentés par Prince, puis imprimés tels quels. C’était une image extraite de la vidéo « I Blame Myself » de Sky Ferreira, que nous avons tournée au printemps dernier en collaboration avec Ferreira, le réalisateur Grant Singer, et System Magazine. 2 days until I Blame Myself (« plus que 2 jours avant I Blame Myself »), écrit @skyferreira, que l’on voit appuyée contre la fenêtre d’un low-rider dans une image instagrammée avant le lancement du clip. Enjoyed the ride today. Let’s do it again. Richard (« J’ai bien aimé la balade aujourd’hui. On remet ça. Richard »), commente @richardprince4. Tout à coup, une image que nous avions produite était devenue une œuvre d’art contemporain avec un prix de vente à cinq ou six chiffres.

Tout à coup, une image que nous avions produite était devenue une œuvre d’art contemporain avec un prix de vente à cinq ou six chiffres.
Nous étions flattés. Depuis qu’il s’est mis à « rephotographier » des fragments de la culture populaire au début des années 80, présentant des copies quasi-exactes d’objets allant de publicités de cigarettes à des photos d’acteur, de gangs de motards et de rastafariens, et osant même une copie mot pour mot du classique Catcher In the Rye de J.D. Salinger, Prince interroge les frontières de l’appropriation. Nous étions ravis d’en faire partie.
Nous avons vu la controverse prendre de l’ampleur: des questions légales, ou de propriété intellectuelle. Des débats philosophiques à savoir qui possède une image Instagram, et quelle est sa valeur (Quand son auteur la publie: 0$. Quand Prince la copie: 100,000$). Des « il n’a pas le droit de faire ça! » indignés auxquels on répond par des « il ne fallait pas le publier, alors ». Ce printemps, quand Prince a dévoilé une nouvelle série d’œuvres pour la foire Frieze New York, la polémique a repris de plus belle. Une pin-up des Suicide Girls, qui a vu l’artiste récupérer l’une de ses photos, s’est mise à vendre ses propres tirages de l’« original » à 90,000$ pour la somme de 90$. « Avons-nous l’autorisation de M. Prince pour la vente de ces tirages? », demande-t-elle. « La même que celle que nous lui avons accordée ;) ». Prince s’empresse de retweeter la remarque.

Cette arrivée du débat sur l’appropriation dans la sphère Instagram a de toute évidence touché la corde sensible des internautes. À l’ère du branding personnel et de la monétisation des médias sociaux, est-ce aller trop loin de dire qu’un artiste célèbre peut gagner de l’argent en empruntant les images d’autrui? Pour obtenir un autre point de vue, nous en avons discuté avec Doug Abraham. Le provocateur à l’origine des images retravaillées de @bessnyc4 est aussi un artiste pratiquant l’appropriation et revendiquant Instagram comme étant le support le plus pertinent du moment.
Abraham, qui se qualifie lui-même d’agitateur, publie quotidiennement un trio de collages qui transforment des photos de mode en images subversives. Il peut par exemple partir de la dernière campagne de pub d’une grande maison, et l’entrecouper de clichés de scènes de crime, de corps ensanglantés, de captures d’écran porno et autres images choquantes. On est d’abord fasciné par la juxtaposition de logos de marques de luxe et d’éléments scabreux. Mais en faisant défiler les images d’Abraham, c’est l’élégance de ses compositions et la finesse de son humour qui nous marquent vraiment.

Tandis que les copies conformes de Prince deviennent deviennent des gestes conceptuels, les collages d’Abraham témoignent d’une approche tactile plus traditionnelle, comme les pages d’un fanzine punk de l’ère numérique. « J’aime détourner ce qui nous est familier», explique Abraham, « parce qu’on peut en tirer un nouveau point de vue sur ce qu’on nous a conditionné à comprendre sans se poser de questions. » Les marques nous présentent des images scientifiquement conçues pour nous attirer. Mais leur omniprésence fait en sorte qu’on les remarque à peine. « Paradoxalement, je crois qu’on est tous à la recherche d’un autre genre d’expérience visuelle: une rupture du statu quo. »
« D’une certaine façon, on s’efforce constamment de rattraper notre retard sur l’énorme potentiel de nos appareils électroniques. »
—Doug Abraham

« La technologie entraîne une mutation rapide de la culture médiatique », poursuit-il. « D’une certaine façon, on s’efforce constamment de rattraper notre retard sur l’énorme potentiel de nos appareils électroniques. » Dans un climat où les marques utilisent Instagram pour attirer notre attention, paient pour publier du contenu sur nos fils d’actualité, et embauchent des mannequins en fonction de leur popularité sur les réseaux sociaux, faut-il s’étonner de voir le monde de l’art s’intéresser à Instagram? La vraie question est de savoir pourquoi ça n’est pas arrivé plus tôt.
What Abraham's popularity with the fashion industry demonstrates, like the controversial works of Prince, is that appropriation always arrives at the greatest reward: a reaction. This raises questions of crucial importance to the fashion industry, where ideas and techniques circulate freely between creators and where even the most innovative creations can not be protected by copyright. And as far as Abraham is concerned, he hopes to make us think. "As I have always been in trouble for breaking the rules, I often wonder where the boundary is and what the gray areas are. "
This is the ideal role for an artist at a time when images are everywhere - and belong to everyone.
- Images gracieusement fournies par: Doug Abraham
- Texte: Mary Tramdack