Les 9 secrets du succès selon Alex Daly
La reine du sociofinancement nous révèle ses trucs pour faire décoller votre projet d’affaires
- Entrevue: Xerxes Cook
- Photographie: Eric Chakeen

Alex Daly vient tout juste de retrouver son bureau de Tribeca après avoir passé deux semaines à sillonner les États-Unis pour faire la promotion de son nouveau livre, The Crowdsourceress: Get Smart, Get Funded, and Kickstart Your Next Big Idea. Daly – qui n’a même pas encore 30 ans – a déjà contribué à financer certains des projets les plus prospères lancés sur Kickstarter au cours des dernières années. Elle semble en effet avoir une connaissance innée des motifs qui poussent les gens à investir leurs sous si durement gagnés dans le rêve de quelqu’un d’autre. Par l’entremise de son entreprise, Vann Alexandra, Daly a injecté 20 millions de dollars provenant de plus de 100 000 donateurs dans une cinquantaine de projets en démarrage à ce jour, parmi lesquels figurent le documentaire de Joan Didion, We Tell Ourselves Stories In Order To Live; le lecteur de musique portatif de Neil Young, Pono; ainsi que des rééditions de manuels de design de la NASA et de la MTA de New York – de véritables bibles pour les disciples du design. Cette liste impressionnante de projets comprend aussi des imprimantes de bureau 3D robotiques, des roues électriques, l’album marquant le retour du groupe TLC ainsi qu’un téléphone cellulaire conçu pour être utilisé le moins possible.
L’ouvrage de Daly est le tout premier « guide de l’utilisateur » officiel consacré au financement participatif, un mécanisme économique et décisionnel collectif au carrefour de l’utopie et de la dystopie. Les plateformes comme Kickstarter ont permis à des projets créatifs qui n’auraient jamais pu exister autrement de voir le jour. De même, les urgences de nature médicale et personnelle sont à la source d’un nombre exponentiel de campagnes de collectes de fonds : GoFundMe observe en effet que sur les 2 milliards de dollars amassés depuis sa création en 2010, 930 millions de dollars étaient destinés à couvrir des frais médicaux. Si le sociofinancement a connu une montée pour le moins fulgurante, celle-ci ne semble pas près de s’essouffler. Avec ce livre, Daly tente de démystifier les mécanismes de ce système et de démontrer le défi que représente le financement d’une campagne dont le budget se situe dans les six chiffres. En ce qui a trait au fait de révéler ses propres secrets en matière de négociation, elle affirme que « même les plus grands chefs au monde ont des livres de recettes, et les gens vont quand même manger dans leurs restaurants. »

Alors qu’elle s’apprête à lancer une campagne pour financer la réimpression de l’édition 1977 du manuel graphique de l’Agence américaine de protection de l’environnement – juste au moment où Trump vient d’annoncer le retrait des États-Unis de l'Accord de Paris sur le climat – Alex a trouvé un moment afin de discuter des ingrédients clés qui pourraient bien vous permettre de sociofinancer votre prochain projet de rêve.


Faites breveter votre idée
« Le financement participatif a tellement évolué depuis sa récente création. Il y a 10 ans, on voyait parfois des groupes de créatifs recueillir quelques milliers de dollars pour réaliser leurs projets artistiques, mais, maintenant que des entreprises du palmarès Fortune 500 et des célébrités font partie des joueurs, les paris sont beaucoup plus élevés. Le financement participatif ne permet plus simplement de réaliser un projet personnel de petite envergure, mais bien de démarrer une entreprise tout entière. En Chine, on a vu certaines compagnies s’approprier l’idée d’une personne tout juste après la diffusion d’un communiqué de presse ou d’une vidéo de présentation pour une campagne. Alors faites breveter votre produit. »
Choisissez votre plateforme
« Kickstarter, Indiegogo, GoFundMe ou RocketHub : quelle est la meilleure plateforme? On me pose constamment cette question, mais tout dépend de ce que vous recherchez. Kickstarter ne permet de financer que des projets créatifs. Si vous êtes une entreprise sociale ou un organisme de bienfaisance, vous feriez donc sans doute mieux d’aller voir ailleurs. La principale différence entre ces plateformes est que certaines, comme Kickstarter, se basent sur le principe du ''tout ou rien'', alors que d’autres offrent une forme de financement plus flexible. L’approche du ''tout ou rien'' peut paraître effrayante, mais elle permet de générer un sentiment d’urgence et un taux de participation nettement supérieur à ce que l’on observe sur les plateformes plus flexibles. Et puisque les gens peuvent voir que vous vous approchez de votre objectif, mais que vous risquez de ne pas obtenir le financement nécessaire avant la fin du compte à rebours, ils sont plus prompts à vous donner un petit coup de pouce. C’est ce sentiment de solidarité qui unit les communautés impliquées dans le sociofinancement : les gens veulent vous aider à franchir la ligne d’arrivée à temps et contribuer à votre victoire. »
Prévoyez une marge d’erreur de 15% dans votre budget
« Vous allez devoir investir pour trouver un réalisateur et un designer de talent afin de créer votre vidéo et votre site web, et pour embaucher les alliés qui porteront votre projet. Peut-être devrez-vous aussi avoir recours à une autre personne afin d’assurer le volet des relations publiques. Les coûts de démarrage sont importants, mais il y a toujours moyen de se débrouiller. Faites preuve de créativité quant à la rémunération offerte, que ces gens soient payés selon un tarif fixe ou à la commission. Rappelez-vous qu’avoir une bonne vidéo est un facteur crucial à votre réussite. Je ne comprends d’ailleurs pas que ce ne soit toujours pas obligatoire d’avoir une vidéo sur Kickstarter. Quand les gens se promènent sur ce genre de sites, ils ne s’attardent pas à lire le roman que vous avez écrit pour décrire votre projet; ils cherchent les campagnes les plus cool et les plus percutantes. Si vous arrivez à démontrer ceci en attirant l’attention des gens avec une vidéo puissante, il y a de bonnes chances que vous puissiez les convaincre d’investir dans votre projet. Faites affaire avec un professionnel. Vous ne pouvez pas vous permettre de faire les choses à moitié. »

Lancez votre campagne un mardi et évitez la période des Fêtes
« Nous aimons bien lancer nos projets le mardi matin. Le lundi, les gens reviennent tout juste du week-end et leur boîte de réception déborde. Le mardi est un bon moment puisque la semaine est encore jeune, et les gens sont plus disposés. Évitez la période des Fêtes. D’abord, les gens ne sont pas devant leur écran. Ensuite, ils n’ont pas envie d’investir de l’argent dans quelque chose qui ne se concrétisera que dans six mois puisqu’ils ont déjà des trucs plus pressants à acheter. En fait, nous ne lançons aucune campagne de sociofinancement passé la fin octobre, car c’est l’Action de grâce et juste après, Noël. Janvier n’est pas une très bonne période non plus parce que tout le monde a la gueule de bois et essaie de resserrer les cordons de la bourse. Les mardis de février sont un moment judicieux pour lancer votre campagne. »
Bâtissez-vous une audience
« Quand un client vient me voir, la première chose que je lui demande, c’est s’il y a déjà une audience intéressée par son projet. J’appelle ça leur audience intrinsèque : le bassin de personnes les plus motivées, enthousiastes et loyales qui croient en votre projet. Il peut s’agir des gens qui sont abonnés à votre liste d’envoi, ou de vos followers les plus engagés et fidèles sur les réseaux sociaux. Si quelqu’un n’a pas d’audience, je lui dis de revenir me voir quand ce sera fait. Si personne ne s’intéresse à votre idée à la base, impossible que votre campagne soit un succès. Il y a toutes sortes de façons de bâtir une audience. Commencez par recueillir des adresses courriel. Même si ça peut sembler une évidence, c’est super important d’avoir tous ces gens à portée de la main. Amplifiez votre présence en ligne en identifiant les influenceurs, les journalistes et autres personnes qui pourront contribuer à faire connaître votre projet. Incitez les gens à parler de votre projet en mettant sur pied un concours et en faisant tirer un produit parmi ceux qui participeront – même si votre projet ne verra le jour que dans quelques mois. »
Inspirez-vous de Joan Didion : pensez aux récompenses
« Mettez-vous à la place de vos commanditaires et demandez-vous si ce que vous offrez en retour vous motiverait à donner. Personne ne veut débourser 100$ pour une carte postale. Les gens aiment recevoir des trucs cool en échange de leur argent. La plupart des campagnes de sociofinancement consistent en fait en des pré-commandes. J’ai eu une révélation quand j’ai travaillé sur le projet de documentaire de Joan Didion. Il fut un temps où Joan était un sacré cordon bleu, et elle a conservé toutes les recettes concoctées pour ses invités lors des nombreuses réceptions qu’elle a données en Californie dans les années 70. Nous avons donc numérisé ces recettes afin de les offrir aux investisseurs en guise de cadeau numérique. Nous avons dû obtenir environ 30 000$ grâce à cette initiative qui n’a pratiquement rien coûté à produire. L’idée est d’offrir une récompense en format numérique et peu coûteuse, mais assez exclusive et inédite pour inciter les gens à donner. »

N’organisez pas de fête pour souligner le lancement
« Je sais que ça peut sembler complètement contre-intuitif, mais même si quelqu’un vient à votre soirée, prend un verre de vin et semble super excité par votre idée, ce n’est pas suffisant pour convaincre cette personne de cliquer et de donner. Ils vont probablement oublier une fois rentrés à la maison. Ce dont vous avez vraiment besoin, c’est d’une vidéo qui va capter leur attention et les exalter quand ils seront devant leur écran. Essayez de créer un buzz en ligne et de faire en sorte que le plus de gens possible en parlent le jour du lancement. Oubliez les médias imprimés traditionnels et efforcez-vous plutôt de faire l’objet d’un article sur BuzzFeed, qui génère un trafic incroyable et qui attire des adeptes d’Internet déjà familiers avec Kickstarter. »
Cool : vous avez obtenu le financement nécessaire. Qu’est-ce qui se passe après?
« C’est assez incroyable de voir que même après avoir atteint votre objectif, vous continuerez à attirer des visiteurs. Des gens qui avaient raté votre campagne continueront de la voir circuler sur les médias sociaux, ou tomberont sur un article devenu viral et se diront : ''Oh mon dieu, mais j’ai trop besoin de ça, moi aussi!'' Si vous voyez que votre campagne se destine à être un succès, configurez une page de garde qui redirigera les visiteurs vers un compte Shopify associé à celle-ci afin qu’ils puissent continuer à donner une fois votre objectif atteint. Indiegogo a lancé une plateforme de financement infini baptisée In Demand, vers laquelle ont migré plusieurs campagnes initialement lancées sur Kickstarter et Indiegogo. Les gens utilisent tout simplement la même vidéo et peuvent continuer à récolter des fonds. Certains clients choisissent aussi de créer un tout nouveau site web et profitent du buzz initié sur Kickstarter. Ils bénéficient désormais d’une liste d’envoi, d’un bassin de fans et de médias excités par leur idée. Ils peuvent ensuite s’appuyer sur cette audience pour lancer une nouvelle version de ce même projet. »
Vous n’avez pas atteint votre objectif? Ce n’est pas la fin du monde.
« Laissez la poussière retomber : n’essayez pas de relancer votre projet un mois plus tard. Prenez du recul et demandez-vous pourquoi ça n’a pas marché. Attendez peut-être un an avant de tenter votre chance à nouveau. Apprenez de vos erreurs. Plusieurs campagnes qui n’ont pas fonctionné du premier coup ont ensuite obtenu un succès monstre. »
- Entrevue: Xerxes Cook
- Photographie: Eric Chakeen