Une évaluation mode des films nommés pour l’Oscar du meilleur film en 2017
Les rédacteurs de SSENSE dissèquent les meilleurs films de l'année à coups de baskets Nike et de chaussettes de soie
- Texte: les rédacteurs SSENSE
La plupart du temps, ce n'est pas très difficile de prédire les films nommés par l'Académie chaque année, et l'événement dans les dernières années a été de plus en plus critiqué, voire boycotté, pour sa tendance à célébrer uniquement les artisans du boys club caucasien. Cette année, toutefois, nous apporte quelques belles surprises : Jordan Peele est devenu le cinquième réalisateur noir à être en nomination, Greta Gerwig est la cinquième réalisatrice à être nommée pour la meilleure réalisation, et l'étrange allégorie politico-romantique de Guillermo del Toro mettant en vedette un personnage communiste a reçu un grand nombre de salutations. Ces choix témoignent de l'époque dans laquelle nous vivons, tout comme les éléments, vestimentaires ou non, dissimulés dans chacun de ces films. Voilà pourquoi ici, chez SSENSE, les rédacteurs ont décidé d'analyser ces films d'exception en s'adonnant à une petite séance de shopping symbolique.

Dans cette image : montre Black Limited Edition.
Dunkirk, Christopher Nolan
La montre rend littéralement la notion selon laquelle le temps est un construit - elle le quantifie, ce qui revient à le rendre réel. Le cinéma a l'effet contraire ; il distord notre perception d'un flux autrement linéaire. Christopher Nolan s'empare de cette dynamique ; l'irrégularité temporelle pousse l'action dans les univers qu'il dépeint et en ancre la structure narrative. Dunkirk, épopée de la Seconde Guerre mondiale, n'échappe pas à cette tendance. Nolan théâtralise l'évacuation des troupes britanniques dans le port français de Dunkerque selon trois points de vue et de façon non linéaire. Pour un des personnages - le pilote de la RAF joué par Tom Hardy -, la montre devient un outil crucial lorsqu'une jauge de son cockpit éclate et l'empêche de connaître l'approvisionnement en carburant de son aéronef. Cet effet cumulatif est étrangement méta et demande au spectateur de suivre l'action tout en tentant de démêler la chronologie des événements en temps réel : " Est-ce que cette action s'est déjà déroulée à ce moment-là? Et puis depuis combien de temps suis-je dans cette salle? "

Dans cette image : robe Dolce & Gabbana.
Lady Bird, Greta Gerwig
Il n'y a pas moment plus kitsch et plus marquant dans la vie d'un jeune adulte que le bal de fin d'études. Le Lady Bird de Greta Gerwig, toutefois, nous montre un passage à l'âge adulte qui n'est pas tout à fait féérique. Vêtue d'une robe brillante à froufrou fleuri trouvée dans une boutique d'occasion, Lady Bird est convaincue d'avoir trouvé la tenue parfaite. " C'est pas un peu trop rose ? " s'interroge sa mère, et on est effectivement près de la surdose, avec les mèches fuchsia que sa fille arbore. Mais il y a un je-ne-sais-quoi dans ce choix qui clique. Comme dans Pretty in Pink (Rose bonbon), lorsqu'Andie conçoit sa robe iconique. Ou comme la robe invraisemblablement shakespearienne, mais néanmoins symbolique, que Josie choisit dans Never Been Kissed (Un baiser, enfin !). Véritable incarnation du début de l'indépendance, le bal de fin d'études illustre la complexité du défi auquel sont confrontés les adolescents en voie de devenir adulte : la peur de l'inconnu mêlée à l'exaltation face à l'avenir qui s'ouvre devant soi. Lady Bird nous rappelle que dans ce périple, ce n'est pas la robe qui porte la jeune fille, mais bien la jeune fille qui porte la robe.

Dans cette image : pince à billets Maison Margiela.
Get Out, Jordan Peele
L'horreur de Get Out n'est pas l'œuvre d'une horde de zombies décrépits ou de fantômes tourmentés. Le spectre que Jordan Peele met en scène, toutefois, est tout aussi pâle, carnassier et impitoyable, voire plus : la suprématie blanche. Lorsque Missy (Catherine Keener) hypnothérapeute et matriarche blanche, remue son thé, c'est en fait pour hypnotiser Chris (Daniel Kaluuya), le petit ami noir de sa fille. Qu'elle utilise une cuillère en argent comme objet de subjugation n'a rien de fortuit ; elle symbolise la richesse et le privilège hérités de génération en génération que les blancs ont utilisé pendant des siècles pour réduire l'importance des autres.

Dans cette image : baskets Nike.
The Shape of Water, Guillermo del Toro
" Incapable de percevoir ta forme, je te trouve partout autour de moi. " Une partie du succès de The Shape of Water (La forme de l'eau) de Guillermo del Toro réside peut-être dans le fait que l'hydrophilie, comme fétiche, surprend peu. Le désir et l'eau partagent en effet plusieurs caractéristiques : ils sont tous deux fluides, enveloppants, pénétrants et irrépressibles. Le besoin de se laisser engouffrer complètement est instinctif, comme programmé de façon biologique par notre séjour de 9 mois dans le ventre maternel. Que ce soit par l'eau, par l'amour ou par des baskets tissés, nous voulons tous nous sentir entièrement soutenus et enveloppés. La forme des VaporMax de Nike - comme l'eau, comme l'homme-poisson de del Toro - est un mystère insondable, leur drôle de semelle coussinée inspirant une adoration aussi ardente et irrépressible qu'incompréhensible.

Dans cette image : chaussettes Haider Ackermann.
Phantom Thread, Paul Thomas Anderson
Imaginez-vous avoir une discipline telle que même les gestes les plus quotidiens deviennent un rituel d'une précision cérémoniale. Les actes insignifiants, comme boutonner sa chemise ou peigner ses cheveux, ou tremper une asperge dans l'huile et non le beurre, sont performés avec la même exactitude. Se glisser dans des chaussettes de soie dès le lever n'est pas seulement un geste sensuel, mais orgueilleux, d'une certaine manière. Parce que la routine du matin, surtout chez ceux rongés par un besoin surnaturel de perfection (et par une obsession pour le maintien de l'ordre), c'est du bonbon. N'est-ce pas amusant, à l'occasion, de susciter la panique de vos proches en demandant simplement que les choses que vous désirez soient faites de la manière dont vous le désirez, au moment où vous le désirez?

Dans cette image : chemise Ribeyron.
Call Me By Your Name, Luca Guadagnino
Dans le Call Me By Your Name de Luca Guadagnino, les chemises appartiennent tout autant au costume du professionnel qu'au monde du fantasme. Lorsqu'Oliver arrive en Italie, il porte la chemise ; lorsqu'à destination il s'endort, il porte la chemise. À son réveil, il en revêt une toute fraîche. La chemise est tout à la fois l'uniforme de l'universitaire confiant et du vacancier alangui. Elle est de mise pour un débat sur l'étymologie du mot " abricot " et pour dévoiler l'irritation cutanée qu'on a sur la hanche. Pour les rencarts avec des femmes que l'on n'aime pas (et pour rompre avec elles par la suite). Une chemise à motif pour accueillir les invités, une chemise qui tombe aussitôt pendant les rendez-vous coquins à minuit. Une chemise pour se dire adieu. Il n'y a pas plus pragmatique que la chemise. Elle est prévisible, fiable, utilitaire - tout ce qu'un amour de vacances n'est pas. " Est-ce mieux de parler ou de mourir ? " Dans une chemise, vous avez le choix.
- Texte: les rédacteurs SSENSE