Michael the III a besoin d’un passe-temps

Ce n’était pas la première fois qu’on me le disait. Peut-être qu’on te l’a déjà dit, à toi aussi. C’est prévisible. Baille d’ennui une fois de trop et tu entendras: «trouve-toi quelque chose à faire.» Pose trop de questions indiscrètes et «tu vas devoir te trouver un hobby.» Passe trois jours à bombarder une personne de tweets à cause de ce qu’elle a écrit sur ton artiste favori et tu risques de voir ton compte suspendu. Tu auras vraiment besoin d’un passe-temps dans ce cas-là.

L’année 2020 et toute son étendue, pour rester poli, ont abondé en histoires de passe-temps fructueux: la focaccia photogénique que tu ne referas jamais; la fois où Mary-Kate Olsen a «aimé» ta vidéo «Qu’est-ce que ma douillette dit sur moi?» sur TikTok; et, surtout, tes relations épanouies avec ton chat, ta collection de livres et tes plantes. Mais si tu souhaites t’engager à long terme, tu devras répondre à certaines questions incontournables. Tout d’abord, qu’est-ce que tu aimes faire? Les activités de groupe virtuelles t’intéressent-elles, ou préféres-tu celles qui se pratiquent dans un sous-sol en mode solo? Es-tu friand·e de compétition ou au premier rang de ceux qui la fuient? Y a-t-il des compétences que tu souhaites développer? L’exercice physique augmente-t-il tes niveaux de sérotonine ou seulement ton odeur corporelle?

Laisse-moi te dire à quoi je ne consacrerai pas mon temps libre: toute activité nécessitant une endurance extrême, un travail d’équipe prolongé ou un esprit téméraire. Je comprends tout à fait l’attrait des activités comme le parachutisme, le hockey, le jiu-jitsu et l’alpinisme. Atterrir sans même un floc, faire quoi que ce soit sur glace qui n’ait pas de teneur en alcool, réussir un grand écart et grimper les plus hautes montagnes du monde sont des exploits que j’applaudis sans réserve, mais mon opinion est faite. Il n’est pas question que je m’y mette.

On peut aussi faire une croix sur la boxe, le rafting en eau vive, le rugby et la tauromachie. Je préfère le hula-hoop, le maniement du bâton de majorette et les jeux de pelouse. J’accepterais même de suivre un cours de Zumba en ligne si on en arrivait là. Par contre, je ne serai jamais à l’aise de pratiquer un passe-temps qui puisse se conclure par un échange de «tope là!» Ma tolérance se limite aux ligues de fantasy football, qui sont davantage des jeux de prédictions que des épreuves d’endurance. La seule responsabilité de leurs participants est de sélectionner une équipe, de s’installer confortablement et de regarder les matchs. Les règlements sont simples: lorsqu’un de tes joueurs offre une bonne performance (dans la vraie vie), tu obtiens des points (dans le jeu). Cette ludification pourrait très bien être appliquée à d’autres sphères d’activité. Pourquoi ne se lancerait-on pas dans des paris collectifs sur le Riverdance, les téléréalités culinaires ou les conflits entre personnalités YouTube? On pourrait aussi s’adonner à des ligues de cinéma imaginaire! L’objectif est de produire un film avec une distribution entièrement composée de lauréat·e·s de Golden Globes. Et si les ligues fantasy s’étendaient à la mode, un domaine dont les adeptes sont aussi avides et sanguinaires que des footballeurs lorsque la saison des défilés arrive? La première étape sera de choisir les designers de notre conglomérat de «fantasy fashion». Ensuite, on attend de découvrir qui présente les meilleures et pires collections selon les critiques sans équivoque de Robin Givhan.

Je préférerais toutefois choisir un passe-temps profitable. Si je ne peux pas physiquement prendre les fruits de mon labeur dans mes bras, je dois au moins pouvoir m’en vanter dans une fête plus tard. Je serais complètement ravi d’être connu comme vannier, comme savonnier, comme brodeur ou comme artisan-calligraphe. Quoi de mieux pour mettre fin à une relation amoureuse qu’un panier-cadeau contenant des savons en forme de cœur brisé, des mouchoirs en lin portant l’inscription «heureux de t’avoir connu·e» et une lettre manuscrite émouvante (sur du papier fait à la main, bien sûr)? Je suppose que des compétences de fleuriste pourraient aussi s’avérer pratiques dans les cas où un tel panier aurait été remis prématurément. L’erreur est humaine!

L’art de collectionner des timbres est démodé. L’activité du moment, c’est de tout faire en même temps. Voici l’horaire d’une journée type: tu te lèves à 4h pour jeter un œil à ta cage à poules urbaine. Ensuite, en tant que barista en herbe, tu crées une œuvre d’art avec le lait moussé de ton café dans le récipient en verre soufflé que tu as confectionné la nuit dernière. Il est encore chaud, d’ailleurs. Il fait froid dehors, alors tu trouves un des pulls en maille que tu as créés lors de ton dernier Trico-thon sur Zoom, pendant lequel tu as plongé dans une transe hypnotique avec un groupe d’accros au tricot. 19 heures plus tard, tu avais un nouveau haut. À la lumière du soleil levant, tu commences à décrire ton état d’esprit dans ton journal intime, mais tu finis par rédiger des blagues pour la soirée scène ouverte de demain. Tu vas devoir faire un carton parce que ta mère a invité son groupe de tai-chi, ce qui te rappelle l’arbre généalogique que tu peines à compléter. Tu es coincé·e dans l’ascendance d’un de tes ancêtres préférés: un cordonnier à temps partiel, comme toi. Lorsqu’il est enfin temps de te rendre au travail, tu le fais au moyen d’habiles manœuvres de parkour. Pendant l’heure du dîner, tu as l’habitude de t’adonner à la dentellerie en planifiant ta prochaine cueillette de champignons entre filles, alors que tes pauses de 15 minutes prennent la forme de séances de méditations ou de karaoké selon ton humeur. Plus tard, la préparation du souper fait appel à tes fameux talents de cuistot, mais ta passion pour le lancer de couteaux a vidé tes tiroirs de ces outils des plus essentiels. Tu décides donc de concocter un croquembouche à l’asperge qui, en plus d’être gratifiant et nutritif, ne requiert aucun tranchage. Avant même que le repas soit terminé, c’est l’heure de t’entraîner au tir à l’arc et de continuer à travailler sur le documentaire que tu réalises. Pas le court-métrage sur ton amour du jardinage, mais bien le long-métrage sur les arbres. Par la suite, puisque ta tapisserie ne se tissera pas elle-même, tu te rends dans ton atelier de couture, où tu trouves les coussins négligés sur lesquels tu avais prévu imprimer tes faux pas de vedettes préférés par thermocollage. Ils auraient dû être finalisés il y a plusieurs heures. Le stress s’empare de toi, alors tu décides de cacher ces éléments de preuve par-dessus tes boîtes de fournitures de bricolage, sous les nombreux jeux vidéo que tu comptes essayer un de ces jours. Tu brûles d’envie de tout réorganiser, mais si les enseignements de David Attenborough sur l’histoire naturelle t’ont appris une chose, c’est qu’il est risqué de s’immiscer dans l’équilibre de la vie. Ainsi, tu résistes, mais tu ne peux t’empêcher de ranger une simple chaussure Bottega Veneta qui n’était plus à sa place. Soudain, l’entièreté de ta collection de chaussures et un jeu d’échecs ouvert s’écroulent à tes pieds. Aussitôt que tu remarques la pile de Lego et de trains miniatures qui t’entoure, ton canot et ton tuba tombent par terre, eux aussi. Tu te souviens de l’été où tu as pratiqué l’équitation? Voilà ton cheval qui s’affaisse, directement sur ton petit orteil.

Je pourrais mettre fin à toute cette indécision en annonçant mes débuts en tant qu’ornithologue le plus élégant de cet hémisphère, mais où j’habite, parmi les pigeons, je serais plutôt l’ornithologue le plus élégant à crier, accroupi sur le trottoir. J’attribue cette réaction à ma mysophobie: bien que je raffole de la plupart des oiseaux, je ferais tout pour éviter d’entrer en contact avec un pigeon volant. De loin, il m’arrive de les trouver beaux. Je me rappelle souvent qu’ils sont essentiellement des colombes en vêtements décontractés, mais j’éviterais aussi de me heurter à une colombe en vol. Si un jour je hurle pendant votre mariage, je suis désolé, mais je ne tolère pas les pigeons.

Il faut éviter de se livrer à des indignités dans le monde des loisirs. Imaginez la honte d’avoir créé la courtepointe la plus moche dans son groupe d’amis. Je préfère me dérober à la jalousie quand c’est possible – je n’aime pas m’exposer au risque. J’ose mon pari le plus courageux en disant: «Vas-y, ajoute les garnitures que tu veux à notre pizza.» Mon passe-temps idéal devrait donc être issu de mon imagination, avec de très fortes probabilités de succès. Pourrais-je allier le shopping seconde main et la chasse aux fantômes? J’ai toujours voulu savoir qui hantait mes poches. Le poker magique serait aussi une bonne option pour moi. Combinons le meilleur aspect du poker (la victoire) à celui des tours de magie (le fait que personne ne sache comment tu l’as fait). Ça semble parfait, n’est-ce pas? Eh bien, ce n’est peut-être pas pour toi.

Autrefois un danger pour la société, Paris Hilton s’adonne maintenant à l’herpétologie de temps à autre, mais insiste qu’elle libère toujours les grenouilles dans l’eau après les avoir attrapées. Son approche a inspiré un hobby que j’appelle… l’herpétologie holographique! On peut maintenant garder les tortues, les lézards et les amphibiens sans culpabilité. Ces compagnons numériques aiment les lampes chauffantes, la bossa-nova, le roïbos, Balenciaga, les publicités de Telus et les roches confortables. Mieux encore, on n’a pas à acheter un vivarium pour ces créatures parce qu’elles existent déjà dans une cage en code binaire.

Les passe-temps se situent normalement au carrefour du travail et du loisir, combinant le plaisir sans enjeu à la discipline qu’on associe typiquement à la vie professionnelle. Et si on nous recommandait des actes oisifs comme le visionnement de séries en rafale et le bronzage, des divertissements qui, au lieu d’offrir une récompense ou une preuve de participation, nous octroient seulement un soupçon furtif d’avoir déjà vu un épisode ainsi que les dommages irréparables causés par le soleil? Assieds-toi les mains vides et ne fais rien. Ne sois rien. Je n’ai pas trouvé le passe-temps; c’est lui qui m’a trouvé.

Michael the III est photographe, auteur, modèle et adepte de loisirs à temps plein. Ses textes ont été publiés par THEFINEPRINT, Gayletter, Document Journal et SSENSE.