Vrai ou faux
L’authenticité sur Internet selon Aleali May, Elise By Olsen et India Rose
- Entrevue: SSENSE
Notre époque offre des possibilités d’expression sans précédent. Les médias sociaux nous permettent de construire les identités que nous souhaitons, et de les partager avec un auditoire qui aurait autrefois semblé inaccessible. Mais avec ces nouvelles opportunités vient la tentation de fabriquer des artifices, d’inventer des personnages et de s’écarter du vrai. Pour une nouvelle génération de créateurs et d’artistes qui ont grandi sur Internet, cultiver une marque de commerce personnelle est presque une seconde nature – et cela fait partie intégrante de leur travail. Mais de telles mises en scène sélectives laissent-elle une place à l’honnêteté? Pour mieux comprendre le sens des réalités en 2015, nous avons demandé à trois créatifs de moins de 25 ans dont nous admirons le travail ce que l’authenticité signifie pour eux.
Aleali May

Une recherche Google rapide sur la conseillère en image, styliste, mannequin et blogueuse Aleali May en dit déjà long. C’est une Instagrammeuse ambitieuse, avec une légion d’abonnés accros à ses posts. Les noms de Kendrick Lamar, de Wiz Khalifa, de Nike et d’adidas reviennent si souvent que si vous ne la suivez pas déjà, ça ne saurait tarder. Elle est l’une des rares stylistes à avoir fait du mariage entre le streetwear et les grands créateurs une union harmonieuse. Est-elle authentique? Il serait difficile de la qualifier autrement.
SSENSE
Aleali May
Votre présence sur les médias sociaux représente-elle davantage votre identité réelle, votre travail ou votre personnage idéal?
Ce que j’essaie de montrer, c’est un style de vie qui correspond à mes intérêts. Ce n’est pas toutes les blogueuses qui portent Rick Owens, qui aiment le même style de vêtements que moi. Alors quand c’est le cas, je me demande: qu’est-ce qui intéresse cette fille? Quel est son style de vie? Ça n’a pas commencé avec la volonté de vendre des trucs et de faire du fric. C’est une démarche authentique. Je veux juste démontrer qu’il y a plus de filles qui aiment ce style qu’on ne le pense.
Quand je regarde les gens avec lesquels vous travaillez et que vous habillez, l’authenticité est manifeste. Est-ce une valeur importante dans votre travail?
Bien sûr. Franchement, personne n’a envie de se faire dire des conneries. Je m’efforce donc d’expliquer les vêtements qui m’intéressent ou auxquels j’essaie d’intéresser mes clients: qu’est-ce qu’ils portent? Comment est-ce que ça se porte, et dans quelles circonstances? J’aime que mes clients soient informés, parce que certains stylistes se contentent d’habiller une personne sans lui fournir de contexte sur, par exemple, le style de vie de quelqu’un qui porte Raf Simons, sur ce que ça signifie. Je veux qu’ils repartent en ayant appris quelque chose. Et qui sait, ils auront peut-être trouvé une nouvelle marque qu’ils auront envie de porter!
Je m’intéresse beaucoup à l’histoire. J’aime les marques qui existent depuis longtemps, comment elles sont nées, comment elles ont évolué et comment elles restent pertinentes aujourd’hui. C’est donc ce que j’essaie de faire avec mes clients: les renseigner sur l’histoire de ce qu’ils portent. Je ne veux pas en faire des victimes de la mode! On ressent quelque chose quand on enfile un vêtement, quel qu’il soit. Donc quand je présente une nouvelle marque à un client, il faut qu’on soit sur la même longueur d’ondes.
Comment joue-t-on le jeu des médias sociaux sans en devenir victime? Comment les utilisez-vous à votre avantage?
On peut les utiliser à son avantage en ayant un message clair: à qui s’adresse-t-on? Qu’est-ce qu’on veut construire? Pas besoin d’écrire un roman, il s’agit simplement de montrer des images de son quotidien et de ce que l’on souhaite représenter. Vous savez, si on crée un profil Instagram pour véhiculer une image complètement artificielle de soi, c’est exactement ainsi qu’on sera perçu. Si on a plutôt une attitude du genre « Salut, je suis juste là pour montrer ce que j’aime ou ce que je fais dans la vie », les choses évolueront naturellement. Pas besoin d’en faire trop.
Comment joue-t-on le jeu des médias sociaux sans en devenir victime? Comment les utilisez-vous à votre avantage?
On peut les utiliser à son avantage en ayant un message clair: à qui s’adresse-t-on? Qu’est-ce qu’on veut construire? Pas besoin d’écrire un roman, il s’agit simplement de montrer des images de son quotidien et de ce que l’on souhaite représenter. Vous savez, si on crée un profil Instagram pour véhiculer une image complètement artificielle de soi, c’est exactement ainsi qu’on sera perçu. Si on a plutôt une attitude du genre « Salut, je suis juste là pour montrer ce que j’aime ou ce que je fais dans la vie », les choses évolueront naturellement. Pas besoin d’en faire trop.
Elise By Olsen

Ce qu’écrit l’auteur et blogueuse Elise By Olsen est soit éloquent, intelligent ou d’un franc-parler nordique – mais la plupart du temps, c’est les trois à la fois. Rédactrice en chef de son propre magazine Recens et cofondatrice du réseau de blogs ARCHETYPE, elle dirige l’une des publications les plus controversées de Norvège depuis sa chambre à coucher, chez ses parents. Le seul indice qui trahit sa jeunesse, c’est sa coupe au bol rose fluo...ah oui, au fait, Elise a 15 ans.
SSENSE
Elise By Olsen
Croyez-vous que l’authenticité existe sur les réseaux sociaux, ou permettent-ils seulement de vivre une vie parallèle?
Je crois qu’elle existe. On peut créer son propre personnage, sa propre personnalité virtuelle. On peut se représenter comme on le souhaite et publier des photos de soi seulement quand on a bonne mine. Et on peut choisir le genre de personne avec qui on veut communiquer et qu’on veut rencontrer, ce qui est génial.
Est-il toujours possible de repousser des limites et de choquer les gens sur Internet?
Ça dépend. Je sais que le Web est très international, mais par exemple, ce qui est considéré comme provocateur au Royaume-Uni est différent d’ici. Après la parution de Recens 2, qui n’était pas si radical, des gens ont réagi en nous disant qu’on n’avait pas le droit de faire ça, que c’était trop. On avait publié une photo de deux filles nues allongées sur un lit. C’est une image magnifique, artistique, géniale. Mais elle a fait sourciller certaines personnes, on nous a dit que des gamins de 15 ans n’avaient pas le droit de publier une photo pareille. La Norvège est très traditionnelle.
Pensez-vous avoir changé certaines choses en Norvège?
Je crois que oui. Je pense qu’on a déplacé les frontières de la provocation. Je pense aussi qu’on a eu un impact sur les stéréotypes sexistes, parce qu’on essaie de démontrer à quel point c’est divisé en Norvège. Je ne connais aucun magazine de mode qui s’adresse à la fois aux hommes et aux femmes et à tous ceux qui se situent entre les deux, on doit être soit un homme, soit une femme, c’est tellement séparé et catégorisé. Je crois qu’on a aussi eu un impact sur les magazines de grande diffusion: ils constatent qu’une approche commerciale, les stéréotypes de genre et la beauté standardisée ne se vendent pas bien. La nouvelle génération n’en veut pas.
Alors le genre est de moins en moins important?
Certainement, pour les gens de mon âge.
Que signifie l’authenticité pour vous?
Je pense que Recens 2, qui était intitulé Explore, représente bien l’authenticité. Le magazine était organisé par thèmes, autant dans son format que dans son contenu, comme l’esprit d’un adolescent. Par exemple, la couverture est à l’envers pour symboliser une jeunesse qui bouscule les esprits et les idées reçues. Le premier numéro s’appelait Identity: c’est les questions fondamentales, revendiquer son identité, devenir qui l’on souhaite être. La troisième édition s’intitule Observe. Parce qu’une fois qu’on a exploré la base, on peut observer les choses autrement.
India Rose

India Rose est considérée par certains comme étant la voix – et le blog – d’une génération. Cinq ans après son lancement, le site de la directrice artistique, styliste, et conseillère numérique est devenu un portfolio à la réalisation soignée présentant ses derniers projets. Sans parler de son Instagram, projet à la fois créatif et rémunérateur. Avec 100,000 abonnés à l’affût de chacun de ses posts, India affirme qu’il est aujourd’hui plus important que jamais que l’authenticité fasse partie intégrante de son travail.
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India Rose
Croyez-vous être authentique?
J’espère que c’est le cas, mais je m’inspire bien sûr de certaines personnes et de certains lieux. Aucun de mes amis n’est dans la mode: ils sont musiciens ou quelque chose de semblable, et ça me plaît. J’essaie de ne pas suivre trop de choses qui touchent à la mode, parce si on la suit de trop près, on finit par la copier. Par exemple, si on est l’assistant d’un styliste ou photographe de mode, on finit en quelque sorte par lui ressembler. Son identité devient la nôtre. Je trouve ça plutôt malsain.
Pensez vous que votre site doit son succès à son honnêteté?
C’est ce que disent mes lecteurs, et c’est ce disent aussi les marques quand elles m’approchent. Ils ont confiance en ce que je fais – ils savent repérer immédiatement un billet sponsorisé, et à chaque fois que j’en publie un (parce qu’il faut bien payer les factures) je dois parfois faire des choses que je ne ferais pas normalement. Mais ce que je dis à chaque fois et à chacune des marques, c’est que j’accepterai de me prêter au jeu uniquement si j’ai un plein contrôle créatif sur le projet, et que je peux le faire à ma façon.
L’intégrité est importante parce que je pense que plusieurs personnes essaient de faire la même chose. Il y a beaucoup d’arrivistes qui ne pensent qu’à y parvenir le plus vite possible. Je ne crois pas que ce soit la bonne stratégie de toute façon. Je pense que, dans une certaine mesure, le fait de prendre son temps est plus avantageux.
À votre avis, qu’avez-vous fait pour vous distinguer du lot?
Même si je travaille dans l’industrie de la mode, je ne m’inspire pas particulièrement de la mode. Je ne suis pas les tendances. En fait, je m’habille principalement avec des vêtements pour hommes. Je ne me préocuppe pas des tailles, je porte simplement ce qui me plaît. Parfois je ne regarde même pas la marque. On me dit que c’est une approche rafraîchissante, parce que beaucoup de gens achètent des vêtements de marques et finissent par tous se ressembler. Mon style est très masculin. Ça démontre en quelque sorte qu’on n’est pas obligé d’être une petite fille mignonne pour être sexy ou intéressante.
J’allais ajouter – mais je ne voulais pas le dire parce que je ne l’ai pas encore fait – que je veux commencer à intégrer la musique que j’écoute. Pour une raison que j’ignore, la musique est la mode sont moins liées dans la mode féminine que du côté des hommes. Je cherche donc un moyen d’associer les deux, parce c’est quelque chose qui me passionne vraiment.
- Entrevue: SSENSE