Balenciaga contre la dictature des mégadonnées

En 2014, le psychologue Michal Kosinski a collaboré avec le Centre psychométrique de l'Université de Cambridge afin de développer un système de profilage mathématique. En se basant sur les données issues de votre activité sur Facebook et de votre téléphone mobile, ce système arrive à vous cerner mieux que votre entourage le plus proche, même s’il ne connaît – a priori – rien sur vous.

Chaque fois que vous « aimez » ou cliquez sur quelque chose, vous complétez inconsciemment un questionnaire exhaustif révélant les secrets de votre moi intime dans ses plus menus détails. Ces données psychométriques établissent certains traits de personnalité en exerçant un suivi constant de vos désirs, de vos peurs et de vos recherches Google de fin de soirée. Elles peuvent ainsi déduire, par exemple, votre opinion quant au contrôle des armes à feu en se basant sur les humoristes que vous suivez sur Instagram.

Nous sommes à l’ère de la psychanalyse guidée par les données, et vos pensées les plus intimes relèvent désormais du domaine public. Les algorithmes classent expéditivement les gens dans des catégories complexes : pâtissier hypocondriaque amateur de comédies romantiques à la Runaway Bride. Orthodontiste collectionneur de katanas préoccupé par sa calvitie naissante. Blogueuse lifestyle possédant une estime de soi précaire et un billet pour Burning Man 2017.

Les entreprises dévorent les miettes d’information numériques que nous laissons derrière nous et utilisent celles-ci pour cibler les consommateurs les plus susceptibles de s’intéresser à tel ou tel produit ou service, allant au-devant de leurs désirs conscients. Vous vous questionnez à propos de l’avenir? Adressez-vous tout simplement à la boule de cristal psychométrique.

Aux yeux des mégadonnées, nous sommes tous égaux. Chacun de nos mouvements est traqué et compilé jusqu’à ce qu’il soit standardisé. N’est-ce pas quelque peu déprimant de se savoir si prévisible? On en vient à penser que même notre ordinateur nous trouve ennuyant, s’empressant de terminer nos phrases à notre place avant qu’on ait fini de les taper.

Une dame de bonne famille qui attend son amant dans le hall d’entrée d’un hôtel huppé. Un militant qui fait du porte-à-porte de jour et se transforme en membre d’Anonymous la nuit venue. Un jeune fugueur qui squatte le dernier projet immobilier de papa. Ruse ou réalité trafiquée? Incarnez l’imprévisible et faites preuve d’une ironie si nuancée qu’elle deviendra en soi une façon de protester contre l’omniscience de l’algorithme.

Nulle autre marque ne maîtrise mieux cette stratégie complexe que Balenciaga. Énigmatique et insaisissable, Balenciaga échappe à tous les algorithmes et à toutes les étiquettes auxquelles on pourrait être tenté de la soumettre. Faut-il attribuer ce caractère opaque à leur culture d’entreprise ou à leur esprit critique? Une chose est sûre, si une description de poste exige de ses candidats qu’ils soient insondables, Balenciaga est l’uniforme tout indiqué pour le décrocher.