Blondey McCoy revisité

Le skater pro, artiste et designer s’assagit

  • Entrevue: Durga Chew-Bose
  • Photographie: Christian Werner

Pour Blondey McCoy, c’est fini Martin Scorsese.

Je lui demande pourquoi.

Il me raconte comment c’est arrivé, il y a deux ans, au Jour de l’An.

«J’ai souvent essayé d’arrêter de boire, mais à la mi-novembre, j’ai décidé d’arrêter pour de bon. Je me suis dit d’ici au [jour de l’an], je vais boire à m’en écœurer, à ne plus pouvoir même supporter la vue de l’alcool.»

Je viens tout juste de rencontrer Blondey, le londonien de 21 ans, skaterboarder, artiste, designer de streetwear, mannequin pour Burberry (choisi par Kate Moss pour être représenté par son agence) et, déjà, je sais qu’il peut tout faire – toujours en s’amusant. Il semble habité par cette soif de la démesure. C’est peut-être – et c’est fort possible – cette charmante brèche laissée par une dent manquante qui me le fait croire. (Il a perdu sa dent en or la veille dans un manège de Winter Wonderland à Hyde Park; elle est tombée de sa poche.) Sa tendance à l’exagération et ses choix de mots hyperboliques ne font que confirmer mon impression. Ses observations se font avec des mesures de quantité énorme: million, milliard. Ses certitudes sont souvent appuyées d’un à 99,9%.

Blondey poursuit son histoire.

«J’ai donc fêté la traditionnelle veille, veille, veille du jour de l’an, toute la nuit. J’ai vraiment été au bout de l’affaire. Le Jour de l’An arrivé, j’ai eu une gueule de bois qui valait pour deux mois. Le ciel était sombre, le Bruno’s était fermé et je sais pas cuisiner. Le spa était fermé et j’avais pas d’eau chaude.»

Qu’est-ce que t’as fait?

«J’ai écouté un livre audio tout seul au Pizza Express en buvant un Coca Cola.»

Et puis?

«Je devais rencontrer un ami et aller au cinéma. Mais il n’est pas venu. Je me suis dit, tant pis, j’y suis allé seul. On devait voir un film de Scorsese, j’imaginais qu’il y aurait de l’action et une bonne trame sonore, tu vois, que je serais diverti. Et j’arrive au putain de cinéma, sans avoir vu le programme, et c’était… Silence. Ça dure presque trois heures. C’est l’histoire de chrétiens qui se font décapiter et qui doivent renoncer à leur foi. Tu comprends l’idée en 10 minutes et, vraiment, c’est de la torture, très lente. Depuis, Scorsese, je peux plus. La confiance est brisée.»

Blondey s’interrompt.

«C’était juste tellement sinistre. Honnêtement, j’étais comme, si je passe à travers ça, par un jour de pluie, alors que tout le monde me laisse tomber, je peux passer à travers n’importe quoi.»

Blondey a l’habitude d’être seul. Cadet d’une famille de trois enfants, il décrit son enfance à New Malden en banlieue de Londres comme heureuse, mais. «Personne ne me donnait d’attention», explique-t-il. «Et j’en voulais à tout prix. Mes parents étaient pratiquement déjà séparés quand je suis né. 10 ans plus tard, quand ils nous ont annoncé qu’ils allaient se divorcer, j’étais surtout surpris de voir tout le monde dans la même pièce. Mon frère était secoué, il a pris le parti de mon père. Ma sœur, celui de ma mère. Moi, j’en avais rien à foutre.» Blondey a vécu la séparation de ses parents et la division de ses frère et sœur comme une occasion de se libérer, complètement.

Il a commencé à sécher ses cours, il a finalement lâché l’école. Il a découvert une forme – bien plus agréable – de solitude (et une autre famille), une qui répond à son caractère obsessif et à son «besoin inhérent de choquer les gens, d’être le centre d’attention». Blondey s’est mis à faire du skateboard dans l’iconique Southbank, à Londres, et plus tard, au Slam City Skates. La façon dont il le raconte, sa jeune vie a commencé, ou plutôt, il a senti la passion pour la première fois, quand il s’est mis à faire de la planche et à traîner avec Rozza, Nugget, Chewy et, plus tard, Lucien, Edison, Carlos, et Missy le chien. À 13 ans, il avait atteint le sommet de ce qu’il appelle son «Everest personnel». Un wallie backside noseblunt slide. Ce que ça veut dire ou ce dont ça a l’air, j’en ai aucune idée, mais Blondey dit que c’est la chose la plus difficile sur laquelle il a travaillé.

«C’est purement physique, mental, et c’est long, dit Blondey. Pour devenir un bon planchiste, il faut que ce soit le centre de ta vie, 12 heures par jour. J’aime ça parce que ce n’est pas quelque chose qu’on peut cacher.»

Qu’est-ce que tu veux dire?

«Il y a pas de discussion possible. Si quelqu’un est bon en skateboard, eh bien, il est bon en skateboard.»

En peu de temps, Blondey est devenu pro avec adidas et roulait pour la marque de skate culte, Palace. Dans Palasonic (2017), une vidéo de skate de 40 minutes de Palace, Blondey fait une entrée remarquable. Le voilà, au deux tiers du film, sur sa planche dans un ensemble de survêtements gris adidas x Palace. Quelques secondes plus tard, il est frappé par un taxi, il fait une vrille sur le pare-brise, tombe sur le pavé, rebondi et court, comme s’il était fait en caoutchouc. Les passants témoins de l’accident semblent stupéfaits. Le chauffeur sort de la voiture, en colère. Blondey rejoint son équipe et, pour un bref instant, alors qu’il marche vers la caméra, on voit à quoi il carbure, ce malin plaisir qu’il prend à rester flegmatique devant un public horrifié.

Ça fait quoi d’être frappé par une voiture?

«Trop d’adrénaline pour savoir. Ce n’est pas de la douleur. La plupart des gens se raidiraient et se feraient vraiment mal. J’atterris. S’il y a une chose à laquelle je suis bon, c’est me faire frapper par une voiture. Ou plutôt, m’en sortir indemne. Les gens semblent plus impressionnés de voir ma face s’écraser au sol que tout ce dans quoi je mets toute mon énergie. C’est comme ça.»

En 2012, avec l’aide des fondateurs de Palace, Lev Tanju et Gareth Skewis, Blondey a lancé sa propre marque, Thames. Il avait 15 ans et il était directeur artistique, il surfait sur la vague culturelle de feignant-entrepreneur. Thames était dans l’ordre des choses, puisque les premières passions de Blondey sont l’art, le dessin, le collage. Ses t-shirts, pulls et blousons avec des illustrations et des gribouillages en caractères gras sont inspirés de l’iconographie londonienne, du kitch britannique, de la monarchie, de Disney, des curiosités de lycéen, de la tradition d’insolence, de Katharine Hamnett, de la Princess Diana, de Fred Perry, des textures pop des journaux imprimés, de l’argile, des devises, de la porno rétro et de la satire.

Si la carrière artistique de Blondey a été plutôt prolifique, ces dernières créations sont directement inspirées de sa sobriété. Us and Chem (2017), sa cinquième exposition et le livre d’art associé explorent la relation entre l’art et la thérapie. Un projet né après l’overdose de Blondey et sa décision d’arrêter de prendre des médicaments d’ordonnance. Dans le communiqué de presse sur l’exposition, on peut lire: «Anti-drogue et pro-art». «Fruit d’un projet carburant à l’hyperproductivité comme moyen de combattre la dépression, la conception de l’exposition a été une révélation dans l’acceptation de la nécessité de voir les troubles bipolaires comme une chance plutôt qu’une condamnation.» Us and Chem comprend une collaboration avec Damien Hirst; une toile de 5 pieds élaborée à partir d’images des archives de Blondey, un mélange de ses anciens vices (pilules), d’imagerie populaire (Mickey Mouse) et de symboles du temps qui passe (fleurs mortes).

Depuis l’an dernier, Thames est sur pause. Blondey se consacre à un nouveau projet solo, une marque éponyme, qu’il décrit comme de l’art commercial: «En fait, les gens qui s’intéressent à moi ne sont pas ceux qui vont acheter une sculpture ou une toile. [Les t-shirts] sont une façon de diffuser mes œuvres. C’est accessible».

Qu’est-ce qui arrive avec Thames?

«En gros, je suis un partenaire d’affaires avec Thames, et je suis dans un système qui n’est pas le mien. Dans les dernières années, j’ai réalisé que je peux avoir un certain contrôle sur la qualité d’à peu près tout, comme mon art, mais pas sur mes vêtements. Thames, c’était bien, mais c’était pas parfait.»

Blondey, la marque, est une prise de contrôle. C’est aussi une façon d’ajuster le tir par rapport à ce qu’il a réalisé jusqu’à maintenant. Il est devenu prudent en ce qui concerne ses revendications et les références et esthétiques nostalgiques sans signification, qui ont donc peu d’intérêt. «C’est-à-dire que si je numérise une image de Diana et que je l’imprime sur un pull à capuche avec simplement un logo à l’avant, ça va me rapporter de l’argent. Mais, c’est vide de sens. Tout le monde peut faire ça. Qu’est-ce qui compte pour moi? Qu’est-ce que j’ai à offrir? Qu’est-ce qui est exclusif à moi?»

Selon lui, sa nouvelle marque est intime, un peu sentimentale même. «Plusieurs de mes projets créatifs portent sur les thèmes de la célébrité, des supers fans et des fausses idoles. Mais mes vrais héros, les plus grands pour moi, ceux qui l’ont été toute ma vie sont ma grand-mère et mon grand-père. Pas toute ma famille, juste ces deux-là.» Ils sont très présents dans ses créations. Par exemple, c’est une photo d’école de sa grand-mère qui est imprimée sur le t-shirt «Salma», elle est jeune et porte un crucifix sur l’épaule. Son grand-père Heni est décédé quelques semaines avant que je rencontre Blondey. «Je n’ai jamais eu autant de peine», a écrit Blondey sur Instagram. «Je pensais sincèrement que la fin du monde arriverait avant que tu nous quittes.» À plusieurs reprises durant la journée que nous passons ensemble, Blondey me raconte des anecdotes concernant Heni. Il visite régulièrement sa grand-mère à Wimbledon et a commencé à porter le parfum de son grand-père, Declaration de Cartier. Il veut aussi faire ajuster la bague de son grand-père pour pouvoir la porter.

Né Thomas Eblen, Blondey est moitié Anglais, moitié Libanais. Il a adopté le nom Blondey quand il avait 11 ou 12 ans. «Si tu n’as pas de surnom en tant que skater, il y a quelque chose qui marche pas. C’est un nom à la con, mais pas autant que Tom. Je déteste le nom Tom.» Tout le monde l’appelle Blondey, sauf sa grand-mère, sa mère, sa sœur et son frère.

Beaucoup de choses se disent sur les origines de Blondey. «Ça m’embête, dit-il. Les gens pensent que je suis un riche héritier. Il y a une rumeur voulant que mon véritable nom soit Leonard et que Damien Hirst soit mon père, et que des millions de livres sterling m’attendent. C’est des conneries, n’importe quoi… les petits commentaires méchants et mesquins se sont calmés, par contre. Je me fais souvent accuser d’être un riche de la haute société qui prétend venir de la classe ouvrière. Si j’ai prétendu une chose, c’est d’être plus riche que je le suis. Je suis privilégié, mais pas riche, et je ne viens pas de la classe ouvrière. J’essaie de m’associer au style aristocrate victorien plus qu’à un jeune vaurien d’aujourd’hui.»

Je demande à Blondey ce que font ses parents.

«Mon père est avocat et ma mère était comptable, elle travaille maintenant dans une mercerie à temps partiel, elle vend de la laine à tricoter. Mon père est toujours avocat.»

Quel type de droit pratique-t-il?

«Je sais pas. Aucune idée. Cet aspect de son travail, je ne lui en ai jamais parlé. Il travaille vraiment fort, il a toujours travaillé fort.»

Blondey vit avec sa copine, Lotty, qui a 29 ans et est scénographe pour la télé et le cinéma. «De grosses productions hollywoodiennes», me dit-il. Des millions de livres sont dépensées sur les décors. The Crown, Bohemian Rhapsody, pour n’en nommer que quelques-uns. «Elle est parfaite, je l’aime. Nous sommes très compatibles, confie Blondey. Elle est bonne pour me dire de me la fermer quand je dis des conneries. Elle n’a pas Instagram, et se fout de la mode. Elle coche toutes les cases.»

«Je suis un passionné, dit-il. Complètement obsessif à propos de certaines choses. Je me fous de 99,9% de la culture pop ou de ce qui se passe dans le monde, mais il y a certaines choses desquelles je peux parler pendant des centaines d’heures sans me fatiguer, ou sans me rendre contre que je suis vraiment lourd». (En bref, ces choses incluent: Abba, Wham!, The Smiths, Harry Potter, Francis Bacon, le mouvement kitchen sink dramas, Ealing comedies, «Kind Hearts and Coronets est mon film préféré de tous les temps, à mille lieues des autres», dit-il.)

Au moment de notre rencontre, Blondey était dans une phase Evelyn Waugh. Sur Instagram, il a publié des photos de pages caressées par les rayons de soleil du livre The Complete Poems de Philip Larkin, dont le poème «High Windows», dans lequel Larkin doute de cette promesse de liberté euphorique que l’on associe à la jeunesse. The deep blue air, that shows nothing, and is nowhere, and is endless.

Les «cases cochées» dont il était question plus tôt et deux années de sobriété ont donné à Blondey l’urgence de fonder une famille. «J’y tiens absolument, je veux vraiment que ça se fasse au plus vite. C’est comme, je peux pas relaxer tant que ça sera pas fait», explique-t-il. «J’ai seulement 21 ans, mais je suis crevé». Étrangement, cet épuisement des débuts d’un jeune homme aux mille activités l’a convaincu qu’avoir des enfants était la solution. «Je veux la meilleure excuse qui soit pour ne plus aller à des fêtes. Ce n’est pas la seule raison pour avoir des enfants ou une famille, mais c’est certainement une carte valide pour s’en sortir impunément.»

Leur maison, là où j’ai rencontré Blondey, est située dans le Belgravia, une zone du quartier de Westminster, à Londres, tout près de ce qui pourrait être d’écrit comme un village d’embrassades (Côte d’Ivoire, Irlande, Bahreïn, Serbie) et de Chester Square (Mary Shelley et Margaret Thatcher y vécurent les dernières années de leur vie). À dix minutes de marche de leur maison se trouve Pont Street, qui est décrit dans Brideshead Revisited de Waugh comme les hauts lieux de l’excentricité et du snobisme de l’aristocratie britannique. Julie, un personnage, est dégoûtée autant que fascinée par ceux qui représentent «Pont Street»: «C’était Pont Street, note-t-elle, de porter une chevalière».

Le salon du couple est peu décoré. Un grand aquarium, quelques bibelots sur le manteau de cheminé, deux fauteuils mid-century en velours bleu avec une couture blanche, comme des pantoufles de luxe, et une table de billard qui double l’espace (à tout le moins ce jour-là) pour déposer des choses: des liasses de billets, l’assortiment de bagues en or de Blondey (dont une avec une représentation du Cèdre du Liban et quelques autres de la collection Thames du joaillier Stephen Webster).

On ne reste pas longtemps. On doit aller au Bar Bruno, un boui-boui de Soho (à côté de Supreme, pas loin de Palace et à un coin de rue du studio de Blondey). Il est un habitué de la place, il y commande souvent des fèves au lard et tomates sur rôtis, sans beurre, avec trois hash brown. «Ils font tout ici, me dit-il. Et tout goûte la même chose; tout est beige.» Il y va souvent, pas seulement pour manger, mais pour le décor, comme si le Bar Bruno était son commanditaire non officiel. De là, Blondey publie sur Instagram, par exemple pour annoncer une nouveauté: sa collection «Fairytale», qui comprend un montage photo d’un jeune Shane MacGowan (des Pogues) et de sa collaboratrice Kirsty MacColl (Blondey a son nom de tatoué sur le haut du bras droit). À la fin de l’année dernière, il a tourné une vidéo au Bar Bruno pour Vogue Hommes, qui en fait l’icône de mode de l’année. Dans une séquence pour la BBC, Blondey fait de la planche dans le Southbank vêtu d’un polo vert irlandais du Bar Bruno.

Quand il n’est pas sur son skate, Blondey se promène partout à pied. Il ne prend pas le métro. Il ne souvient pas la dernière fois que c’est arrivé, quoi qu’il se souvienne être allé sous terre il n’y a pas longtemps pour jeter un coup d’œil à une publicité qu’il a faite en tant que modèle. Il a quitté la plateforme aussitôt qu’il l’a vue et est remonté à la surface.

C’est facile d’imaginer Blondey ne pas attendre le train. Il a cette attitude cool, l’énergie infatigable de celui qui joue avec la monnaie dans le fond de sa poche. Il bâille souvent, parfois au milieu d’une phrase; il est facilement distrait; il se prend pour un guide touristique (c’est-à-dire qu’il a tout un répertoire de faits et d’anecdotes sur tous les recoins de Soho, il pointe une rue ou une vitrine, comme ce deli aux tuiles vertes qu’on voit dans Naked de Mike Leigh, ce qui nous fait faire de petits détours au fil de notre discussion).

L’ambiance dans le studio de Blondey est aussi calme – il y a toujours du thé qui se prépare – que chaotique. «Nous sommes toujours sur 10 projets à 95% terminés», me dit-il. Des planches Thames sont accrochées au mur. Des piles d’enveloppes en papier bulle signées à la main par Blondey et remplies de marchandise attendent d’être expédiées. Sa table basse de verre est couverte d’innombrables cartes postales de la Princesse Diana.

Il m’avoue que, depuis qu’il a arrêté de fumer – 12 jours avant notre rencontre, «Mon grand-père a arrêté de fumer le jour de ma naissance, j’ai donc arrêté de fumer le jour de son enterrement» –, il trouve difficile de rester en place, même dans son studio. Il fumait environ 30 à 40 cigarettes par jour. «Je me sens plus léger», me dit-il. Après avoir fumé pendant huit ans, il retrouve l’odorat. «L’autre jour, j’ai senti comme 10 choses en ligne. Ma copine allume toujours des bougies, elles ont toujours été strictement décoratives, elles ne servent à rien d’autre. J’ai aussi senti un chien.» Il aime les chiens et craint les chats. Il a fait appel à un hypnotiseur pour vaincre sa peur, mais ça n’a pas fonctionné. Il aime aussi les chevaux. Lors de notre balade aux jardins du Palais de Buckingham vers Piccadilly, nous sommes passés à côté d’une parade de la cavalerie durant la Relève de la Garde. Blondey s’est arrêté pour les admirer.

Depuis qu’il est sobre, il a dû trouver de nouvelles façons de passer le temps. «Quand j’ai arrêté la drogue, ceux que je croyais être mes meilleurs potes au monde… se sont avérés être en fait de pas si bons amis. J’ai perdu beaucoup d’amis. Je vais pas me tenir avec une bande de potes pour les regarder prendre de la drogue autour d’une table, simplement parce que je m’ennuie de jaser avec eux. Je me sens seul, comme un marginal. Je ne dis pas ça parce que j’ai besoin d’aide, je sais ce que j’ai à faire, je sais ce qui me rend heureux.» À part l’art et le skate, je lui demande ce qu’il fait pour le plaisir.

«Les montagnes russes. Et le karaoké. Ce sont mes deux vices. Je vais souvent au karaoké seul. J’y vais pendant deux heures, deux fois par semaine, généralement. J’y vais au moins une fois avec un ami, c’est la seule personne que je connais qui ose dire ouvertement qu’il aime Robbie Williams. Notre seule règle est de commencer par “Angels” et, deux heures plus tard, de finir avec “Come Undone”. Et entre les deux, c’est de la balade power pop des années 80. Je sais que c’est bizarre d’aller au karaoké deux fois par semaine, mais, vraiment, c’est une chose simple, c’est chimique. J’y passe du bon temps.»

Blondey flirte aussi avec la haute couture, il a été mannequin pour Burberry et Valentino et a défilé pour Louis Vuitton à l’arrivée de Virgil, il avait une expression sérieuse et un short, une veste et des baskets rouges. «J’attendais le grand… », il s’interrompt pour trouver le mot qui décrirait le délire qui entoure le défilé. «Mais c’était un peu comme être à l’école. Tu te tiens en rang et tu attends le allez-y!. Putain de merde… mais je suis content de l’avoir fait.»

Son style, tel que décrit dans le Vogue par son bon ami, le photographe Alasdair McLellan, «fait tout à fait partie de ce style britannique décontracté de terrasse». Blondey a une vision romantique, à la limite un peu clichée, des choses du passé comme James Dean, Milan en général ou le style de Ray Liotta dans Goodfellas. Il s’ennuie même du tableau noir de Bruno’s depuis qu’il a été remplacé par une affiche imprimée, plus brillante et plus permanente. Le look de Blondey évoque le tapis mur à mur, les téléviseurs en bois laminé, les décorations en laiton, les photos de Larry Sultan.

Blondey porte un pantalon Palace en velours côtelé marine, un cardigan Prada gris, un t-shirt blanc de sa propre marque et des baskets Cloudbust de Prada. Il me raconte qu’il vient de les acheter à Milan, où il va souvent faire de la planche, et qu’il s’est baigné avec elles aux pieds, alors qu’elles étaient flambant neuves. «On est allés à un lac et la plage était couverte de roches tranchantes, je me suis dit que c’était probablement comme des chaussures de plongée.»

Il est comme ça, il dit et fait des choses qui semblent puériles, simples, libérées. Quand il devient fébrile, il raconte une histoire. Celle-ci est ma favorite, pas parce qu’elle le fait briller – ce n’est pas vraiment le cas – mais parce qu’elle est honnête et réfléchie, comme les mauvais souvenirs. Les meilleures histoires, les plus obsédantes (et pertinentes) le sont souvent.

L’histoire va comme suit, il dit:

«J’ai tellement eu d’ennuis à l’école, surtout parce que j’y allais pas. Mais, une fois, j’y suis allé et j’ai donné des coups de compas à la tête d’un autre élève. Je l’ai frappé vraiment fort, près des casiers».

Mon Dieu. Pourquoi?

«C’était pour une question d’honneur tellement triviale. Honnêtement, je n’arrive pas à me souvenir, mais je pense que c’était quelque chose du genre, j’ai dit : “Si tu touches à ça encore une fois, je te poignarde avec un compas”. Et il l’a fait. Et je me suis dit, bon, je l’ai dit, maintenant je dois le faire».

Qu’est-ce qui est arrivé ensuite?

«Je devais avoir à peu près 9 ans. C’était dans le visage, même. J’ai été suspendu de l’école et, à partir de ce moment-là, les parents des autres élèves me voyaient comme une mauvaise influence. J’étais celui à blâmer pour tous ceux qui s’attiraient des ennuis à l’école. Puis, peu de temps après, c’était la Journée sportive. J’y suis allé, et tous les parents viennent voir leurs enfants courir, sauter, tirer le javelot. C’était ma première journée depuis ma suspension, et j’étais au saut en hauteur. Et, il montait la barre, un pouce à la fois. Tout le monde se faisait éliminer, sauf moi. J’ai battu le record de saut en hauteur de l’école, ce que je n’avais jamais fait avant.»

Et?

«Honnêtement, je me souviens, ça a pas d’allure, je sais pas pourquoi je te raconte ça, mais c’est vrai, je me souviens avoir gagné et tiré du plaisir à regarder tous les parents qui ne m’aimaient pas. Ce jour-là, j’ai réalisé que j’aimais faire des choses dans lesquelles je suis bon devant des gens qui ne m’aiment pas. C’était vraiment un jour important.»

Durga Chew-Bose est rédactrice en chef déléguée chez SSENSE.

  • Entrevue: Durga Chew-Bose
  • Photographie: Christian Werner
  • Traduction: Geneviève Giroux