Plus de contexte

Si un amateur de Throbbing Gristle et de Psychic TV se retrouve à magasiner sur un site de mode de luxe, la vue du t-shirt Yang Li Samizdat x Psychic TV lui fera, naturellement, rouler les yeux. Mais ce n’est pas un de ces cas typiques où la haute couture emprunte sans vergogne quelques éléments d’une contre-culture avec laquelle elle n’a aucune relation organique. Yang Li n’est pas seulement un fan dédié et obsessif de musique industrielle ayant un lien authentique à cette scène, il est aussi l’ami de Genesis P-Orridge. La collaboration, qui comprend des t-shirts, dont celui à manches longues Hero, imagine les produits dérivés d’une tournée Psychic TV European, avec un jeune Genesis à l’avant et une lettre de refus de John Peel de la BBC à l’arrière. La collection est une forme d’hommage à la tournée que Psychic TV a dû annuler l’an dernier après que Genesis ait reçu un diagnostic de leucémie. Li a aussi organisé une vente aux enchères en septembre – qui comprenait quelques archives personnelles de Throbbing Gristle/Psychic TV ainsi que des morceaux de la collection Samizdat x Psychic TV –, afin d’amasser des fonds pour les soins médicaux de longue durée de Genesis. Ça, c’est de la collaboration.

Durant plus de 90 ans, l’entreprise familiale et marque de luxe italienne Colmar a conçu des vêtements techniques pour le ski, en se spécialisant dans les silhouettes fines et aérodynamiques. Elle a toujours cherché à moderniser l’équipement alpin. Avec la tendance actuelle à tout revisiter, il était inévitable qu’une collaboration se profile. Mais, voici la partie étonnante. Le fondateur de Hood by Air, Shayne Oliver, s’est joint à Colmar pour le dernier projet de la marque, qui s’inspire de ses designs originaux: des pantalons rembourrés qui rappellent les guêtres de Colmar et les manteaux concepts influencés par le «Thirring», une grande cape datant des années 30, qui, déployée, rappelle les ailes d’une chauve-souris. Si la nostalgie alpine est évidente, on ne peut s’empêcher non plus de penser à une autre silhouette: celle de Buzz Lightyear dans Toy Story. Des pantalons à pattes d’éléphant en plastique et des ailes violettes. Des proportions faites pour l’espace, pour les pistes de ski ou pour Shayne Oliver. Pour partir, pour s’envoler. Vers l’infini et plus loin encore. Etc.

Si vous êtes perspicace, vous savez qu’une pièce à avoir dans sa collection est une veste «pare-balle» originale Helmut Lang. Lancée lors du défilé automne-hiver 1997, la veste est devenue un pilier de sa collection à la fin des années 90, et est le Graal des collectionneurs de mode et des enfants de l’ère streetwear qui font leurs recherches. Une rareté, la veste d’origine se trouve en ligne, à partir de 580$ sur Grailed ou de 4500$ sur eBay. Il est aujourd’hui banal, presque attendu, que les designers s’inspirent d’uniformes et d’équipements militaires. Et cette veste d’Helmut Lang a certainement eu une énorme influence. Elle a d’ailleurs été rééditée par la maison l’an dernier. Nous sommes aujourd’hui fascinés par les archives vestimentaires, du retour du sac à bandoulière Kim Jones et Maria Grazia Chiuri chez Dior au retour du premier logo Celine d’Hedi Slimane. La nature exclusive des originaux demeure. Les puristes de la mode diront d’ailleurs qu’une paire de Tabi Margiela vintage est bien plus cool qu’une paire toute neuve. Quelle que soit votre position, vous pouvez aujourd’hui posséder un morceau d’histoire, sous forme de réédition, livrée à votre porte.

C’est une omission majeure que Yohji Yamamoto et Azzedine Alaïa ne paraissent pas sur la liste des amitiés les plus légendaires de la mode. Ce legging, comme toute la collection automne-hiver 2018 de Yamamoto, est inspiré en partie du cubisme, mais aussi de son amitié de longue date avec Alaïa, dont le décès l’an dernier a donné lieu à une foule d’hommages. Yamamoto a pensé ce défilé comme une célébration de «mon cher Azzedine». Potes depuis la fin des années 80, ils étaient discrets et appartenaient à un petit cercle de confidents. Chaque collection de Yohji Yamamoto est spéciale, mais celle-ci est particulièrement unique; elle incarne la trace d’un deuil, la fin d’un chapitre.

En 1952, un chimiste juif-allemand qui a fui l’Allemagne nazie synthétise l’essence d’arbre en petit sapin vert, un désodorisant jetable ayant la forme d’un conifère. Dans les années 90, le petit sapin était offert dans une pléthore de parfums: brise du large, noix de coco, arome de vanille, odeur de voiture neuve, glace noire. L’odeur ramènerait sans doute votre mémoire de milléniaux au début des années 2000 – la berline de votre adolescence dans laquelle vous fumiez des joints, peut-être – une ère que les maisons de luxe ne cessent de revisiter. La preuve est partout, surtout chez Balenciaga. Le porte-clés ressemble exactement à ce qu’on a vu se balancer et se décolorer sous le rétroviseur. Si bien que Little Tree (maintenant Car-Freshener Corporation) poursuit Balenciaga de peur que les clients, confus, paient accidentellement trois cents fois le prix pour ce qu’ils croient être un désodorisant d’auto. À la suite de l’arrêt de la Cour, tous les porte-clés ont été rappelés auprès des détaillants. Avec la légalisation récente du cannabis au Canada, le Petit sapin persiste, avec ou sans Balenciaga.

Choisissez un mot, écrivez-le avec du cristal, attachez-le à votre queue de cheval: vous avez la formule pour le parfait retour culturel. Ou plutôt, Ashley Williams l’a, avec son design de barrettes parées de bijoux qui est devenu la plus jolie – et utile – façon de faire des déclarations. Pensez à Selena Gomez, qui, après avoir été qualifiée de «really ugly» [«vraiment laide»] dans un commentaire Instagram de l’obséquieux Stefano Gabbana plus tôt cette année, l’a trollé en retour avec une attache à cheveux «UGLY» en diamants. Puis il y a eu la vedette de Florida Project, Bria Vinaite, connue pour sa personnalité colorée et sa nonchalance vaporeuse, qui a lancé le défilé printemps-été 2019 de William avec une queue de cheval pointée vers le ciel sur laquelle on peut lire «SAD» et «FUCK», une juxtaposition qui nous rappelle d’aller au-delà de la surface. Et puis la rappeuse bbymutha, qui pétillait littéralement dans un éditorial SSENSE avec le mot «SEX» dans ses boucles, un clin d’œil à son ouverture sur le sujet. Ici, dans vos cheveux, le contexte est ce que vous en faites.