La tenue de survêtement en velventine : nos adieux au rêve de l’indolence
Un historique de l’habillement décontracté, sous l’optique du classique des années 2000
- Texte: Gabby Noone

Le mythe veut que Sacha Velour, ex-participante de RuPaul’s Drag Race, ait choisi son nom parce que la velventine, cette «imitation du velours», est une habile métaphore de l’art de la drag. Autrement dit, la velventine est une version pour emporter du velours. C’est le velours, mais dans un verre Starbucks, sapé à travers une paille en plastique. Plutôt que de satin, elle est faite de coton, voire de polyester, et tissée pour accentuer son aspect extensible et peluché. La velventine, c’est Rihanna qui se rend à l’aéroport, ou encore chez le dentiste.
Bien qu’aux yeux des masses, la velventine appartient à un monde pré-contenu-commandité dans lequel TMZ est au sommet de sa gloire et la tenue Juicy Couture occupe les sacs de shopping (et les derrières) de toutes les célébrités de l’heure, les marques athlétiques comme FILA, adidas et Nike continuent de porter le flambeau de l’ensemble en velventine. D’autres marques sportives plus jeunes, comme Phipps et Martine Rose, proposent de surprenantes actualisations, révisant la silhouette emblématique du millénaire ou usant de subtils ornements athlétiques en velventine, alors que des grands noms comme Gucci, Balenciaga et Y/Project redéfinissent l’apparence de ce matériau sportif nostalgique en lui ajoutant un caractère opulent dans leurs interprétations respectives du loungewear haut de gamme.
Avant les années 70, la velventine servait principalement de substitut abordable du velours en ameublement, se transformant en rideaux et recouvrant les sofas. De son côté, la tenue de survêtement était réservée aux coureurs sur piste qui se réchauffaient avant une épreuve. En raison de la vague de popularité simultanée des sports télévisés, des athlètes célèbres, du jogging comme passe-temps, de quantités étourdissantes d’étoffes synthétiques et de la musique hip-hop, les ensembles de survêtement en velventine sont devenus des pièces vestimentaires presque universelles à l’amorce des années 80, du moins auprès des hommes. Même James Bond a troqué son fameux costume-cravate en faveur d’une tenue en velventine bleu marine signée FILA dans A View To a Kill en 1985.

Les gars des Soprano endossaient aussi des tenues en velventine FILA, marque pertinemment fondée en Italie au début des années 1900, bien avant que ses collections contemporaines de baskets massives et de sacs banane fassent un tabac chez les jeunes influenceurs. Quand Tony Soprano doit taper sur quelqu’un à 15 h, rencontrer sa maîtresse à 16 h, mais rentrer pour dîner en famille à 18 h, l’ensemble de survêtement en velventine constitue le parfait habit, de jour comme de nuit. En tant qu’uniforme non officiel des mafieux modernes, qu’ils soient fictifs ou réels (à sa sortie de prison en 2009, John Gotti Jr s’est exprimé devant la presse vêtu de velventine brune), la tenue de survêtement a complètement transcendé le domaine du sport; elle représentait désormais les gens qui nageaient dans l’argent mais ne travaillaient que très peu. Voilà l’attitude sur laquelle Juicy Couture a plus tard fondé toute son identité.
Nas, qui a porté un habit de survêtement en velventine orange vif sur la couverture de son album Stillmatic, était également un fan de FILA et a collaboré avec la marque sur une ligne de tenues de survêtement en 2008. Il a expliqué à cette époque que cet ensemble était si important pour lui qu’après le décès de son meilleur ami, il l’a habillé d’un kit FILA noir pour son enterrement. D’ailleurs, des années 90 au début du millénaire, l’un des accomplissements essentiels des magnats du hip-hop était la mise en marché d’un ensemble de survêtement en velventine à logo brodé. Les collections Rocawear de Jay-Z, Sean John de Diddy et Phat Farm de Russell Simmons ont inondé les magasins grande surface. Au lieu de simplement soutenir des marques de sport connues et leur offrir un boost de crédibilité, ils ont choisi de tailler leur propre place sur le marché. En 1999, Kimora Lee Simmons, alors mannequin et femme de Russell, dont la téléréalité Life In The Fab Lane a été diffusée pour la première fois deux mois avant Keeping Up with the Kardashians, a lancé Baby Phat en tant qu’extension pour femme de Phat Farm.

Au moyen de touches distinctives comme un coloris rose bonbon et des ornements en strass, Baby Phat a féminisé la tenue traditionnellement masculine. « Je ne voulais pas porter le jersey de football d’un homme. Ce n’est pas ce que je recherchais, avoir l’air d’emprunter les fringues de mon copain », expliquait Simmons à The Fader en 2016. «Nous nous adressions vraiment aux femmes. À cette époque-là, notre cliente était une jeune femme qui voulait se sentir sexy. Nous passions à un look plus féminin, sensuel et ajusté.» Bien que je ne souhaite pas accuser Juicy Couture d’avoir copié Kimora Lee Simmons, et que leurs marques aient acquis un renom à la même époque, j’avoue croire que Baby Phat a ouvert la porte à Juicy Couture.
Lorsque Juicy Couture a introduit son ensemble de survêtement en 2001, un mélange d’excès pré-récession et de savant placement de produit par les célébrités l’ont transformé en véritable phénomène de mode. On pourrait croire que Juicy a fait ses débuts avec cette tenue, mais la marque existait déjà depuis dix ans, d’abord comme détaillant de jeans de maternité, puis comme ligne de t-shirts d’inspiration hippie californienne à couleurs «juteuses». Les fondatrices Pamela Skaist-Levy et Gela Nash-Taylor ont révélé dans leurs mémoires intitulées The Glitter Plan: How We Started Juicy Couture for $200 and Turned It Into A Global Brand (dont l’adaptation télé a été annoncée en mars 2018) que leur modèle n’était pas un autre designer ou une marque de vêtements, mais bien l’entrepreneur derrière le Hard Rock Cafe, une chaîne internationale de restaurants à thème rock’n’roll rétro populaire auprès des touristes. «Comme Peter Morton», racontent-elles. «Nous voulions créer tout un empire Juicy.»
Pamela et Gela ont priorisé l’établissement de relations avec les stylistes des stars et d’une omniprésence dans les suites cadeaux de remises de prix. Au lieu d’organiser des défilés réguliers, elles considéraient les parkings de Starbucks et les zones d’attente de voituriers comme leurs passerelles, et les paparazzi comme leurs équipes de relations publiques. La tenue de survêtement Juicy est devenue l’ensemble à privilégier pour se préparer à entreprendre des activités bien moins exigeantes que l’athlétisme, y compris les cours de Pilates, les rendez-vous chez le maître coloriste et les déjeuners chez Mr. Chow. La nostalgie pour cette époque et pour Juicy Couture persiste, mais elle est trop imbue d’ironie pour être mise en pratique
Pour suivre l’ascension de la marque, les employés de Juicy ont créé un «mur d’honneur» ainsi qu’un «mur d’horreurs» au siège social. Chaque semaine, un membre de l’équipe achetait une pile de magazines sensationnalistes et découpait chaque apparition de la tenue de survêtement, une pratique qui paraît presque bénigne lorsqu’on la compare aux standards de pistage dorénavant perpétués par Instagram. Le mur d’honneur reflétait les aspirations de Juicy Couture, avec des clichés de Madonna et ses enfants au parc, de Gwyneth Paltrow sortant d’un café et de J.Lo en route vers le gym. À l’inverse, le mur d’horreurs incluait des images de Mariah Carey durant sa « crise de nerfs » largement médiatisée et de la criminelle Patrizia Reggiani, qui a été condamnée pour l’orchestration du meurtre de son ex-mari, Maurizio Gucci, et qui portait un ensemble en velventine à ses funérailles. Curieusement, la documentation constante des célébrités en tenues Juicy, même si elles ne se dirigeaient vers leur hôtel que pour pleurer au lit, les ont rendues moins fainéantes, plus actives et polyvalentes que les classiques sweats molletonnés. «On en raffolait», disent les fondatrices de Juicy. «Peu importe où vous alliez, tant que vous y alliez, nous étions ravies.»
Le modèle rose bonbon de Juicy demeure le plus mémorable, mais aussi le plus risible, celui qu’on pointe du doigt lorsqu’on veut accuser la marque de représenter l’héritière gâtée pourrie ou la troisième épouse égocentrique. On pense à la photo de Kim Kardashian étendue sur une Range Rover blanche vêtue du sien. Ou à Nicole Richie dans un épisode de The Simple Life, qui a combiné son pantalon en velventine rose à un t-shirt à logo «Dude, Where’s My Couture?». Dans The Bling Ring de Sofia Coppola, la cambrioleuse adolescente Alexis Neiers (campée par Emma Watson) porte une variante à mancherons de l’habit de survêtement, et l’agence aux seules chaussures qui puissent lui faire justice, les bottes Ugg. Le roman My Year of Rest and Relaxation d’Otessa Moshfegh prend place en 2001 et figure une protagoniste fortunée mais déprimée qui s’auto-traite à travers une année d’ «hibernation» et arrive à se procurer un ensemble de survêtement Juicy de seconde main sans même se tirer du sommeil.

Une lassitude culturelle et l’achat de la marque par des géants de l’industrie ont contribué à la chute de cet item autrefois idyllique, que l’on peut maintenant trouver chez Kohl pour moins de 50$. Mais des efforts ont été déployés en vue de redonner de l’éclat à cette figure de proue de la velventine. Conformément à son habitude de rehausser les emblèmes américains banals, Vetements a entre autres conçu quelques morceaux à logo Juicy dotés de tailles anormalement hautes et vendus à des milliers de dollars l’an dernier. Cette initiative n’a toutefois pas eu de grand retentissement, hormis quelques articles annonçant « le retour de Juicy » et une publication Instagram illustrant Kylie Jenner vêtue d’une paire de pantalons à inscription « Juicy » sur les fesses. Rihanna a été photographiée à l’extérieur d’un cabinet de dentiste dans une combinaison en velventine rouge, mais tous les logos Juicy en strass semblaient être stratégiquement camouflés par son blouson en cuir surdimensionné
Comme pour bon nombre d’industries du secteur privé, Rihanna est probablement notre unique espoir d’offrir un second souffle à l’ensemble de survêtement en velventine. Sa ligne Fenty pour Puma a un attrait comparable à celui de Juicy Couture au début des années 2000 : elle vend le rêve de la culture populaire à prix raisonnable. Elle a avancé plusieurs interprétations novatrices de la velventine, dont une tenue lavande moulante qu’elle a combinée, dans toute sa splendeur de starlette, à un sac à logos Dior pour monter à bord d’un avion à LAX. Au lieu des Uggs, Rihanna a opté pour une paire de bottes en cuir à bout pointu blanches, propulsant son look vers le futur. Sous la direction artistique d’Alessandro Michele, Gucci a récemment placé l’ensemble de survêtement au centre de sa marque, lançant nombreux modèles, allant des options décontractées recouvertes de logos aux itérations ultra formelles évocatrices d’Elvis à broderies, garnitures en strass et fourrure décorative. La collaboration Dapper Dan de l’Automne-Hiver 2018 ainsi que le défilé Printemps-Été 2019 comportaient des pièces en velventine à teintes brunes, beiges, jaunes et vertes distinctement seventies et à éléments sérieusement somptueux, comme les manches de style kimono et les accessoires ornés de pierres. Mais tous ces vêtements sont bien trop luxueux pour être accessibles, et la tenue en velventine devrait être à la portée de tous. Après tout, elle n’est pas faite de velours. Elle devrait être adaptable, abordable et confortable— une cosse soyeuse, pratique et glamour, bref.
Bien que la résurgence mode des années 2000 et des ensembles en velventine tels qu’ils étaient paraisse logique, le monde n’est plus le même. Il est maintenant acceptable, voire noble de porter ses vêtements d’entraînement en public. Se faire photographier à l’extérieur d’un Starbucks plutôt que d’un Moon Juice, par exemple, est un incident gênant, parce qu’il vaut mille fois mieux se perfectionner que se caféiner. L’auto-indulgence a été rebaptisée «auto-préservation». On ne doit plus être fier d’avoir un fonds fiduciaire, mais plutôt en avoir honte. L’important, c’est de montrer à quel point on est #proactif dans notre quête de #succès, même si nos parents paient notre loyer. En cette ère hyper productive où l’on guette constamment nos boîtes de réception en travaillant sans arrêt sur notre marketing personnel, il semblerait que le vrai loisir n’existe plus, même pour la classe des consommateurs ostentatoires. L’aspect le plus nostalgique de la tenue de survêtement en velventine est ce qu’elle représente : le rêve de ne rien faire.
Gabby Noone est une écrivaine établie à Brooklyn. Elle travaille sur son premier roman pour adultes.
- Texte: Gabby Noone