LA COMPILATION PRÊT-À-PORTER DE VETEMENTS

On ne choisit pas un designer juste parce qu’on aime ses vêtements. Nous nous attachons d’abord aux marques parce que nous nous identifions à leurs référents culturels, et parce qu’elles nous permettent d’exprimer notre identité. Contrairement à la vision de Raf Simons faisant miroiter une youth culture alternative, ou à la fascination de Gosha Rubchinskiy pour les skateurs russes post-soviétiques, la façon dont Vetements interagit avec la culture nous parle plutôt de la nature de notre engagement envers celle-ci à l’ère du numérique : elle est partout, tout le temps. La marque n’impose pas à sa clientèle une définition étroite du mot « cool » et ne tente pas de leur vendre une idée spécifique de ce que la culture devrait être. Elle propose plutôt une méthode afin d’interagir avec ce qu’elle est déjà. Les inspirations musicales de la marque, par exemple, ne se limitent pas à un seul style ou à un seul genre. Ainsi, ce qu’on achète, ce ne sont pas les goûts de Vetements en matière de musique, mais bien leur façon d’accueillir et d’interpréter celle-ci.

ROCK’N’ROLL RUSSE

Vous avez peut-être aperçu le nom de la rockeuse russe alternative Zemfira sur le hoodie créé en son honneur par Vetements en édition limitée. Tout comme le designer de la maison, Demna Gvasalia, la musicienne a toujours été fascinée par la culture occidentale, qui lui semblait autrefois hors de portée. Pendant sa jeunesse dans les années 70, alors que l’Union soviétique était à son apogée, son accès au rock’n’roll se limitait à la collection de disques de son frère. C’est d’ailleurs lui qui l’aura initiée à Queen et Black Sabbath. Après s’être fait connaître avec des reprises de groupes post-punk soviétiques comme Kino et Aquarium, Zemfira a lancé son premier album original en 1999.

HIP HOP

Du fond de son Tbilissi natal, en pleine Georgie post-soviétique, le jeune Gvasalia – alors âgé de 14 ans – s’est mis à traîner avec une clique pseudo-East Coast, qui vénérait le hip-hop de la côte est américaine des années 90. « Notre héros était Notorious B.I.G. », a-t-il confié à 032c. Son gang rivalisait alors avec une clique similaire qui avait plutôt prêté allégeance au West Coast et à leurs grands manitous, Snoop Dogg et Tupac. Malgré les racines résolument East Coast de Gvasalia, le rappeur Snoop Dogg – légendaire représentant de la côte opposée – apparaît sur un t-shirt graphique de la collection automne-hiver 2016 de Vetements. La réponse de Snoop quand on lui demande s’il porterait ledit t-shirt? « Tellement pas! »

GOTH

Vers l’âge de 16 ans, Gvasalia est entré dans la phase « sombre et frustrée » de son adolescence. Ses goûts musicaux et son style sont alors devenus plus goth. « J’étais extrêmement antisocial, déprimé, et je détestais tout », explique-t-il en entrevue. « J’écoutais du Sisters of Mercy et des trucs du genre. C’était ma période rebelle. » La puissante influence du groupe rock originaire de Leeds se fait toujours sentir aujourd’hui, puisqu’on aura pu les entendre lors des défilés automne-hiver 2016 de Balenciaga et de Vetements, tous deux mis en musique par la DJ Clara 3000, proche collaboratrice de Vetements. La collection automne-hiver 2016de Vetements traduisait d’ailleurs l’esprit gothique de Gvasalia, notamment à travers des pulls à capuche à imprimés de têtes de mort et des pièces garnies de grosses chaînes – éléments depuis longtemps associés à la culture goth.

MÉTAL

Gvasalia a, de toute évidence, un penchant pour le heavy métal. Vetements a d’ailleurs contribué à populariser – ou du moins, à repopulariser – l’esthétique métal dans le milieu de la haute couture.

Demna associe les graphiques de la collection automne-hiver 2015 – faisant référence à la répression à grands coups de « Polizei » – à un esprit d’autorité écrasant qui n’est pas sans lui rappeler le groupe métal allemand Rammstein. « C’est un vêtement qui fait peur. Et quand tu le portes, ça te donne un air méchant aussi. Ça fait référence à des choses que j’associe personnellement avec l’Allemagne, comme le groupe Rammstein, et qui évoquent toutes une idée de pouvoir et de peur que je trouve intéressante. »

La collection automne-hiver 2016 de Vetements comprenait une série de t-shirts graphiques rappelant la marchandise de groupes black métal comme Cradle of Filth, l’un des grands favoris des adeptes de Hot Topic. Cette référence en dit long sur la tendance de Vetements à envoyer promener les traditions en matière de bon goût. Cradle of Filth n’est pas particulièrement bien vu, même chez les métalleux. Comme le critique Chris Chantler l’a écrit dans la publication métal Terrorizer Magazine : « Détester Cradle of Filth a toujours été l’étape initiatique pour ceux qui tentent de se frayer une place parmi l’élite heavy métal. » Le groupe speed métal des années 80 Powermac – traînant une réputation tout aussi peu glorieuse – a eu la chance de voir sa chanson Slaughterhouse être repêchée par Clara 3000, qui l’a incluse dans la trame sonore du défilé printemps-été 2016 de Vetements.

PUNK

Vetements défend son titre en tant que grand nom de la contre-culture, tout en faisant un clin d’œil aux clichés les plus cheesy de la pop culture. Les robes à carreaux de la collection automne-hiver 2016, agencées à des cravates négligemment nouées au cou des modèles et à des t-shirts portés de travers, rappellent le look d’une jeune écolière punkette.

L’éthos DIY du style punk rock se retrouve aussi dans la genèse même de Vetements. Avant le lancement de la griffe, Gvasalia et son équipe travaillaient tous pour des maisons de luxe comme Louis Vuitton, et se retrouvaient le soir pour plancher sur la création de leurs propres pièces, unis par une même insatisfaction quant à certains aspects de l’industrie de la mode.

INDUSTRIEL

En plus de jouer le rôle de muse et de modèle pour Vetements, l’artiste Paul Hameline, 20 ans, crée des collages à partir d’une imagerie violente et suggestive tirée du cinéma et des beaux-arts. À l’instar de la maison, il se reconnaît dans les sonorités brutales et les visuels propres à la musique industrielle. En entrevue avec Wonderland Magazine, il a tout récemment dressé la liste de ses groupes favoris, auxquels on pourrait – pour la plupart – accoler l’étiquette industrielle, soit Coil, Vår, Death in June, Psychic TV et Lebanon Hanover. Hameline incarne à merveille l’esthétique plus sombre et crue définissant une partie du style de Vetements.

POP GRAND PUBLIC

Les hoodies les plus populaires de la collection printemps-été 2016 arboraient des imprimés tirés des affiches du film Titanic de James Cameron, qui a fait exploser le box-office en 1997. Le film et sa chanson-thème My Heart Will Go On, interprétée par Céline Dion, ont engendré un phénomène mondial incontournable qui a touché des millions de personnes partout dans le monde. Peu importe où la vie vous a mené aujourd’hui, il y a de fortes chances que vous ayez vu Titanic en 1997. Mais heureusement, dans l’univers de Vetements, pas besoin d’abandonner vos amours de jeunesse – qu’il s’agisse de Titanic ou de Céline Dion – pour être hip.