Créativité collective

  • Entrevue: Haw-Lin, SO-IL, et Études Studio

On connaît tous le cliché: le génie qui écrit ou dessine dans son studio, créant des œuvres d’une beauté stupéfiante dans la plus parfaite solitude. Dommage qu’il soit aussi éloigné de la réalité. Toute personne travaillant dans une industrie créative vous dira certainement que la collaboration est non seulement essentielle, elle est souvent à l’origine des meilleures idées. Les créatifs d’aujourd’hui s’attachent moins au perfectionnement d’une seule habileté qu’au partage de ressources, au travail sur des supports variés, et au potentiel de la collaboration et du travail d’équipe.

Nous avons demandé à trois collectifs actifs dans les milieux du design, de la mode et de l’architecture de nous décrire leurs méthodes de travail. Leurs réponses le démontrent clairement: la création est un jeu d’équipe.

« L’internet nous est utile. » C’est un euphémisme venant de Nathan Cowen, qui dirige aux côtés de Jacob Klein l’agence de création Haw-Lin, née de l’un des blogs d’images les plus soigneusement compilés d’Internet. Les co-fondateurs ont lancé leur « mood board numérique » en 2008 pour partager des images entre eux, mais celui-ci est depuis devenu Haw-Lin Services, via lequel le duo berlinois applique son penchant pour les compositions nettes et percutantes à des projets de direction artistique, de photographie, de branding et de design produit. Sa clientèle provient du monde de la mode comme de celui du design: Les créateurs de sacs minimalistes PB 0110, Le magazine scientifique Zeit Wissen, le fleuriste berlinois Marsano Blumen. Travailler sur des supports variés vient peut-être naturellement à un duo qui sait associer les images d’architecture, des baskets, de plantes, de filles et de mode pour qu’elles deviennent plus que la somme de leurs signifiants respectifs. Mais pour Klein et Cowan, un beau travail se fonde sur des méthodes solides – et une approche pluridisciplinaire entièrement ouverte.

HAW-LIN

Nathan Cowen

Comment pensez-vous que votre travail en mode influence vos projets créatifs?

On aborde chaque projet de la même manière: en essayant de créer des systèmes simples et sensés. On crée des règles pragmatiques, qui correspondent à l’esprit de la marque ou du projet, et le fait de les suivre facilite grandement le processus de création. Jusqu’à maintenant, on a aimé aborder différents domaines créatifs de notre point de vue de graphistes. Il est parfois plus facile et amusant de briser les règles quand on ne les connaît pas – et cela produit souvent des résultats beaucoup plus intéressants.

« Il est parfois plus facile et amusant de briser les règles quand on ne les connaît pas – et cela produit souvent des résultats beaucoup plus intéressants. »

Avez-vous appris des leçons qui contribuent à votre démarche créative?

Il est important pour nous que nos décisions créatives s’appuient sur des fondements solides: la forme et la fonction, etc. On réfléchit donc de manière tout aussi scrupuleuse au design d’un t-shirt qu’à celui de l’identité visuelle d’une marque.

Est-il arrivé qu’un projet en mode vous amène à travailler dans un autre domaine?

Ça nous arrive constamment. On a la chance d’être contactés par des clients et des collaborateurs qui ne se représentent pas nos services de la même façon. Certains pensent qu’on travaille dans l’industrie de la mode, et d’autres ne connaissent que notre travail de graphistes ou de photographes. Idéalement, bien sûr, tout le monde saurait qu’on offre presque tous les services créatifs!

Plus spéficiquement, notre démarche en graphisme et photo nous a amené à travailler de la même manière avec plusieurs entreprises de design. Les gens de New Tendency, un studio berlinois, sont devenus nos bons amis et collaborateurs. De nos jours, les beaux objets de design semblent indissociables du milieu de la mode. C’est peut-être pour le mieux.

SO-IL

Jing Liu

De toutes les disciplines créatives, les collaborations imposées par l’architecture sont peut-être les plus complexes. Le désir de suivre un projet de la table à dessin jusqu’au premier coup de pioche est un principe fondamental du cabinet d’architectes brooklynois SO-IL. En fait, c’est ce que représente la première moitié de son nom: SO signifie solid objectives, ou la capacité de traduire l’abstrait en concret. IL correspond aux initiales de ses fondateurs Florian Idenburg et Jing Liu, qui ont créé le cabinet en 2008. Privilégiant une approche pluridisciplinaire inspirée par l’art et la théorie, les projets de SO-IL sont unifiés par une philosophie que Liu résume comme étant une « quête résolue de nouveauté ». Celle-ci se prête particulièrement bien aux lieux d’exposition, notamment la Kukje Gallery de Séoul et la première Frieze art fair de New York. Comme l’explique Liu, les collaborations fructueuses se fondent sur un échange fluide d’idées.

Comment la collaboration contribue-t-elle à votre démarche créative?

C’est un aspect fondamental. Elle crée un environnement critique qui n’autorise aucune complaisance.

Quelles sont vos spécialités respectives?

Florian est davantage porté sur le visuel, et je suis plus analytique et conceptuelle. Mais nous aimons tous les deux interroger, remettre en question, et faire sortir notre équipe de sa zone de confort (en termes de design).

« Nous aimons tous les deux interroger, remettre en question, et faire sortir notre équipe de sa zone de confort. »

Pouvez-vous nous parler d’une situation où vous avez utilisé votre expérience de façon inhabituelle dans un projet collaboratif?

Je pense que le fait d’avoir été élevés et formés dans des cultures différentes nous donne une grande capacité d’écoute en matière de design. On pense souvent que les créatifs sont difficiles, obstinés, qu’ils veulent contrôler le moindre détail. C’est peut-être souvent le cas, mais en ce qui nous concerne on est à l’aise avec un processus fluide et imprévisible. Et on apprécie souvent la contamination créative apportée par d’autres mains.

Qu’avez-vous appris, entre autres, en travaillant avec des personnes issues d’autres milieux professionnels?

L’architecture peut paraître compliquée et intimidante à beaucoup de gens. Mais ses principes fondamentaux sont souvent assez proches d’autres disciplines. J’essaie de communiquer nos projets en les reliant à des concepts globaux plutôt que de tenter d’expliquer les détails. Cela permet d’échanger des idées de façon plus spontanée.

Études Studio représente particulièrement bien la nature pluridisciplinaire de la création contemporaine. Partagé entre Paris et New York, le collectif fondé par les collaborateurs Aurélien Arbet, Jérémie Egry, José Lamali et Nicolas Poillot touche à tout: édition indépendante, création vestimentaire, direction artistique. Une approche fertile et omnivore pensée pour inviter les croisements et les connexions d’un projet à l’autre. Un photographe inclus dans une monographie d’Études peut participer à la création d’imprimés pour la collection suivante, et la signalétique bleu profond du groupe colore des reliures, des t-shirts et même des tables en édition limitée. Selon les mots d’Arbet, « on construit un univers complet, et on invite les gens à y entrer et à l’explorer. »

Études Studio

Aurélien Arbet

Comment vos projets de direction artistique et d’édition influencent-ils le côté mode de votre travail?

Quand on travaille dans un studio pluridisciplinaire, les différents projets ont tendance à se chevaucher et à s’inspirer les uns des autres. Si on travaille sur un livre, par exemple, on applique la même méthodologie qu’en développant d’une collection ou en offrant des services créatifs à un client. En cours de route, on peut apprendre quelque chose d’un projet spécifique, qui en retour influencera les autres projets et leur permettra d’évoluer et de grandir. C’est la beauté d’un studio à plusieurs facettes: le résultat final est un mélange singulier et distinctif de différentes formes de création.

« C’est la beauté d’un studio à plusieurs facettes: le résultat final est un mélange singulier et distinctif de différentes formes de création. »

Quel genre de connaissances la mode vous aide-t-elle à développer?

Nous avons découvert entre autres le pouvoir et l’influence de la date limite. C’est un élément crucial, qui fixe le temps dont on dispose pour conçevoir, produire, créer et construire un monde cohérent. Si on dépasse la date limite, le monde que l’on souhaite créer ne peut tout simplement pas exister.

  • Entrevue: Haw-Lin, SO-IL, et Études Studio