Wiz Khalifa se prend toujours très au sérieux

Le rapper, papa et fumeur d’herbe sympathique qui pratique le Muay Thaï lance un nouvel album

  • Texte: Judnick Mayard
  • Photographie: Emman Montalvan

Wiz Khalifa fait faire ses twist locs, ce qui ne lui demande rien d’autre que de passer près d’une heure assis sur une chaise à se faire coiffer par deux stylistes d’expérience. Il y a quelques années, il avait les cheveux ombrés et vivement colorés, un style en vogue chez 60% des jeunes de l’univers du rap, mais aujourd’hui, ils sont brun naturel. Le choix est peut-être inconscient, mais on pourrait dire qu’il suit son mode de vie. C’est en septembre dernier que le géant du rap a célébré ses 30 ans. Quand je lui demande comment il se sent, il me répond avec le calme légendaire dont il fait preuve dans toutes les facettes de sa vie: «Pour moi, c’est comme une simple période transitionnelle. J’aimerais seulement pouvoir tout effacer [le passé]. C’est une nouvelle vie, en quelque sorte. Je me sens renaître».

C’est en juillet que Wiz Khalifa doit sortir son nouvel album, Rolling Papers 2. Ce sera son sixième album complet et son premier depuis 2014. L’album marque également 12 ans de notoriété pour le rapper – il aura pratiqué son métier de rêve pendant maintenant presque la moitié de sa vie. Cameron Thomaz, le camé efflanqué qui a quitté Pittsburgh en quête de gloire au début des années 2000 s’est frayé un chemin vers le sommet à coups de raps et de rires. Mais le Wiz qui se trouve devant moi n’est pas seulement physiquement plus costaud – «J’en avais marre d’être petit», dit-il au sujet du poids acquis grâce au Muay Thaï – , il est également divorcé et partage la garde de son fils Sebastian avec son ex-femme, Amber Rose.

Alors, qu’est-ce qui a vraiment changé dans sa vie? «Je pense que je deviens plus structuré [et] civilisé. Je dis civilisé parce que quand tu rappes et que tu pars en tournée, tu ne vis pas une vie normale et il est difficile pour les gens qui font ce que je fais de faire abstraction de tout ça. Je n’ai jamais eu une enfance normale à jouer dehors avec mes amis. J’étais toujours en train de bosser et de galérer pour devenir ce que je suis aujourd’hui. Maintenant, ma routine est plus normale.» Ce mode de vie convient par ailleurs davantage à la vie de famille: «Mon fils, il a cinq ans maintenant, c’est donc plus facile de passer du temps avec lui. Ça force l’équilibre entre la bête et la version plus civilisée de moi-même».

Wiz Khalifa porte pull à capuche Off-White.

La date de parution de l’album a été annoncée dans une vidéo publiée sur Instagram le montrant en train de jouer aux quilles, avec pour légende «Je suis bon dans tout!! Mon album sort le 13 juillet». La confiance qu’il dégage en personne fait partie de son charme. Il décrit l’album comme étant «légendaire, mais tout ce que je fais est légendaire». Son assurance est infaillible, mais ne tombe jamais dans l’arrogance; rien ne semble faux ou affecté. Pour lui, l’album va de pair avec son état d’esprit actuel: affirmé, assuré, et toujours en quête de nouveautés. Les quelques pistes que j’entends sont compactes et débordent du swagger propre à son style, mais avec une voix tellement déformée par moment qu’on ne le reconnaît plus. Son single principal, «Real Rich» avec Gucci Mane, fait un peu plus de deux minutes. Wiz chante à un rythme qui ne ressemble en rien à la cadence maintenant trop utilisée par les trois «Migos». Ça coule. Plus axé sur la texture narrative et mélodique, il affirme que c’est un retour aux sources. «Au départ, quand j’ai commencé, je voulais que ce soit quelque chose de très actuel [acoustiquement]. Je voulais vraiment définir qui je suis maintenant dans la scène rap.»

Les erreurs et obstacles de la vingtaine servent de GPS pour le reste de la vie adulte, pas seulement afin de repérer les mines, mais aussi pour se rappeler qu’on a survécu aux précédentes et qu’on survivra aux prochaines. La vingtaine de Wiz équivaut à une carrière de rock star tout entière: des contrats avec deux maisons de disque, cinq albums, un mariage de 3 ans, 10 nominations aux Grammys, et même une mention aux Golden Globes pour un des singles les plus populaires de l’histoire de la musique. (Regardez n’importe quelle performance de «See You Again» – la meilleure chanson de 2015 – dans n’importe quel pays et vous verrez ce que je veux dire.)

Dans les dernières années, les critiques ont accusé Khalifa de paresse et de laisser-aller mais ses fans demeurent TaylorGangOrDie. Comment réussit-il à conserver une base aussi fidèle? «Je sais que les gens sont attirés par ma musique et qu’ils aiment ma musique, mais ils aiment aussi ma personnalité. Et c’est une chose que je n’ai jamais négligée. Tu me verras toujours être moi-même [et], par chance, c’est ce que les gens veulent voir, plutôt qu’une voiture ou une chaîne. Tant que je continue à véhiculer ce message et à devenir une meilleure personne, ils veulent que je continue dans cette voie.»

Aujourd’hui, de plus en plus de rappers se distancient du titre de «simple artiste». Tout le monde veut avoir un «et», ou tente du moins d’écarter l’idée qu’ils ne font que rapper. Wiz a été vu à l’écran et également dans le monde de la mode, mais n’a jamais changé son titre. Il rigole quand je lui demande pourquoi. «[Parce que] j’adore la musique rap, comme, je suis un fan de rap. Ces jeunes, ils ne sont pas des fans de rap. Ils ne connaissent pas ce qui est grand, ce qui est légendaire, parce que ce truc s’empare de toi complètement. Le rap a pris le contrôle de ma vie et c’est pourquoi je ne pourrais jamais lui tourner le dos. Mon personnage est peut-être épars; j’ai peut-être une aura de rock star et mon attitude suggère peut-être que je n’en ai rien à foutre, mais le lyrisme, la production, les beats, tout le putain d’art nécessaire pour faire de la vraie musique rap: c’est ça qu’on fait.»

Son nouveau mode de vie terre-à-terre permet à Wiz de se réinvestir dans son art. Il trimbale un carnet avec lui en tout temps. «Je me réveille et j’écris des raps», dit-il, notant que sa consommation de marijuana l’empêche de se souvenir de ses rêves en détail. Il dit se sentir ressuscité et recentré en écrivant des chansons qu’il aime vraiment. «Je suis très inspiré, parce que je mets tout dans la musique et je ne veux rien manquer. Juste d’être capable de m’asseoir ici, de tout absorber, d’écouter les beats et de dire bon, quel est le concept plutôt que de simplement dire “oh okay ce beat est fort, je fais ça” ». Il regarde des documentaires et de vieilles entrevues de ses artistes préférés, de Wu-Tang et Three 6 à Pink Floyd et James Brown. Ce n’est pas nouveau pour lui, mais c’est la continuation de tout ça qui l’a inspiré au départ.

Wiz Khalifa est le camé sympathique de l’industrie; je lui demande s’il commence à se lasser de ce rôle. «C’est 50/50. C’est en partie d’apprendre à me connaître en tant que personne, de connaître les différentes dimensions qui définissent qui je suis et ce que je fais. Les tonnes d’herbe que je fume semblent fasciner tout le monde, mais quand tu découvres toutes les facettes, tu écoutes ma musique et tu [entends] ce que je dis, quand tu vois comment j’interagis avec ma famille et que je traîne toujours avec les mêmes mecs depuis le début, tout ça devient beaucoup plus pertinent que la beuh ». Il roule un joint et sonne comme un papa.

Wiz est un défenseur de longue date de la légalisation et de la décriminalisation – la «récréationalisation», comme il dit. «C’est bien pour moi, parce que j’ai été capable de montrer aux gens les bienfaits de la mari, en changeant son statut de truc hippie à quelque chose de plus business largement accepté. Parce que quand tu me vois, tu sais que je fume de la beuh, mais je suis très articulé et, ça, ça brise les barrières automatiquement, comme OHHH cet enfoiré est capable de s’exprimer.» Le boom de la marijuana peut être un peu perturbant pour ceux qui ont été injustement punis pour de telles pratiques, mais Wiz insiste sur le fait que le partage de connaissances ne peut que mener à un intérêt commun. «Quand je vais chercher mon fils à l’école, ils me disent “tu sais, je ne veux plus boire du vin. J’aimerais seulement fumer un petit joint avant d’aller au lit. Tu sais où je pourrais en trouver?” et là je suis comme, “t’inquiètes bébé, j’ai ce qu’il te faut.” C’est le genre de truc que tu verrais à la télé: la mère, la femme bien rangée qui interpelle le rapper tatoué parce qu’elle veut fumer de la beuh, eh ben ça se passe dans la vraie vie, et c’est acceptable. De moins en moins de gens lèvent le nez là-dessus et de plus en plus de gens en veulent.» Il est ouvert avec le fait qu’il fume de la beuh même avec son propre fils, «je fais juste lui dire, écoute, papa a besoin d’aller fumer un joint».

Pour ce qui est de son apparence, le rapper élancé était bien connu pour ses jeans blancs Saint Laurent super skinny et pour son physique efflanqué – qui pourrait oublier le pantalon de rock star étroit et la fourrure qu’il porte sur la pochette de son album O.N.I.F.C.? Toutefois, il a récemment pris de la masse. «Il était temps, c’est tout», dit-il. Wiz pesait 140 lb, il a vite pris 30 lb et a commencé à pratiquer le Muay Thaï. Il adore son nouveau corps. «C’est différent parce que j’ai plus de courbes maintenant et j’y pense quand je m’habille. Les pantalons ne peuvent pas être trop amples au niveau des cuisses; je veux genre montrer mes jambes. J’ai passé du 29 au 34 et j’ai plus d’options maintenant.»

«c’est différent parce que j’ai plus de courbes maintenant et j’y pense quand je m’habille.»

Wiz Khalifa porte pull à capuche Off-White.

Il y a quelques années, j’ai rencontré Wiz alors que je travaillais sur une courte tournée pour laquelle il partageait le rôle principal. Notre première rencontre était complètement inattendue, il connaissait mon nom même si nous n’avions pas été présentés, mais c’était authentique et chaleureux¬ – il y a eu une accolade, je me souviens. Quelques spectacles plus tard, j’ai rencontré les femmes de sa famille, une horde de tantes aussi grandes et drôles que lui. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que la personnalité de Wiz lui venait de son entourage qu’il n’a jamais quitté. Il a peut-être quitté sa bulle, mais il a amené son monde (et ses standards) avec lui. Wiz se dit faire partie d’une communauté, et maintenant, il étend cette considération à son industrie. Il évoque son intention de continuer à aller dans cette direction, avec la même passion qu’il avait quand il tentait de se rendre au sommet, mais cette fois-ci, avec l’esprit paisible de l’avoir déjà atteint.

Judnick Mayard est une scénariste et productrice basée à Los Angeles.

  • Texte: Judnick Mayard
  • Photographie: Emman Montalvan
  • Production: Rebecca Hearn
  • Stylisme: Lauren Matos
  • Vidéo: Lidia Nikinova
  • Coiffure: Tracy Love