Les jeux de rôle numériques de 18+

Le groupe pop lance « Three Song Medley », un montage exclusif de sa nouvelle trilogie vidéo

  • Interview: Zoma Crum-Tesfa

Cofondé par les artistes Samia Mirza et Justin Swinburne, 18+ propose un modèle pour l’identité d’un groupe pop à l’ère numérique. En jouant sur des thématiques propres à l’Internet – comme l’anonymat, le remixage et les jeux de rôle – le groupe s’est fait connaître grâce à ses personnages mystérieux et hypersexués, ainsi qu’à ses clips autoréalisés. Pour sa première collaboration vidéo, 18+ a fait équipe avec le studio créatif berlinois Haw-lin pour créer « Three Song Medley », un montage de trois vidéos extraits de son nouvel album Collect.

Zoma Crum-Tesfa

Samia Mirza (SM) et Justin Swinburne (JS)

Commençons par la genèse du groupe. Comment avez-vous commencé à collaborer?

JS: Non, en fait. Pas du tout.

SM: Il m’a envoyé un beat, et j’ai essayé d’y ajouter ma voix. On l’a superposé à une vidéo d’une femme qui danse dans l’océan, juste pour le partager avec nos amis. Il n’y avait pas de nom, ni de véritable point de départ sinon l’envie de s’amuser et d’expérimenter ensemble sur un projet autre que la sculpture. Et ça a plutôt bien fonctionné, parce que l’un de nos amis l’a fait circuler.

Où en étaient vos pratiques artistiques respectives à l’époque?

JS: J’étais plutôt productif. Je participais à beaucoup d’expositions, mais quand ce projet a pris de l’ampleur je me suis détourné du reste. Ça m’a permis d’échapper à la quête du statut d’artiste professionnel, ce qui me paraissait vraiment ennuyeux à l’époque, ou superflu. C’est ce que faisaient plusieurs de mes amis, ils avaient rapidement du succès, et j’étais un peu blasé. Aujourd’hui, je peux aborder l’art davantage comme un passe-temps.

SM: Je faisais beaucoup de sculpture à l’époque, et quand je suis rentrée à L.A. je faisais aussi de la sculpture. Mais on travaillait tous les deux à temps plein quand 18+ a commencé. Alors j’essayais de créer de l’art sur mon ordinateur quand j’étais au travail. Ça répondait vraiment à mon besoin de créativité.

Avez-vous déjà collaboré avec un réalisateur externe avant cette vidéo?

JS: Non, mais Nathan de Haw-lin est un bon ami, et on s’est toujours portés une admiration mutuelle, donc c’était naturel de travailler ensemble. Je savais que Sami et moi pourrions collaborer avec lui et avec son équipe.

« La propriété intellectuelle commence à disparaître dans ce projet. Le fait de savoir qui fait quoi a peu d’importance. »
—Samia Mirza

Quel était le concept derrière ces vidéos?

JS: Le concept était de prendre des séquences vidéo assez personnelles et crues – de toute évidence réalisées avec des téléphones portables et autres appareils du même genre – et de les rephotographier dans un contexte de photographie commerciale. On a donc rassemblé des arrière-plans, du matériel d’éclairage, tout l’équipement nécessaire pour recréer le théâtre de la photographie commerciale, mais en y transposant de force notre contenu plus intime. C’est en quelque sorte une métaphore globale pour décrire notre démarche avec 18+, où l’on prend des images brutes pour les mettre sur le marché. Pour voir comment tout cela interagit.

Pensez-vous que votre projet se prête à une démarche collaborative plus ouverte que pour un groupe plus traditionnel?

JS: Tout à fait. À commencer avec notre démarche, et notre façon d’emprunter des éléments un peu partout. Et même avec l’idée de nommer le projet 18+: on souhaitait créer une catégorie qui pourrait inclure tout le monde. Et ça a participé à créer une marque qui absorbe constamment des gens, des choses et des images. C’est très fluide, et même nébuleux. On ne sait pas qui fait quoi – ce qui est du contenu original, ou ce qu’on s’est approprié.

SM: Je pense que la propriété intellectuelle commence à disparaître dans ce projet. Le fait de savoir qui fait quoi a peu d’importance. En fait, j’aimerais qu’il rassemble davantage de collaborateurs. Notre collaboration avec Haw-lin a été très fructueuse. Même avec nos mixtapes et nos vidéos, tout donne l’impression d’être un remix.

À vos débuts, vous étiez tous les deux anonymes, ce qui a beaucoup fait parler de vous. Pourquoi avez-vous décidé de révéler votre identité?

SM: On a toujours travaillé en suivant l’évolution naturelle du projet. Au début, la musique était diffusée en ligne et on ne donnait pas de concerts, alors l’anonymat nous paraissait logique. Quand le projet a pris de l’envergure, on a commencé à se produire sur scène, à donner des interviews en personne et à travailler avec une maison de disques. Notre présence physique est donc devenue nécessaire, et on a choisi de rompre l’anonymat.

Au début, vous utilisiez les pseudonymes de Boy et Sis.

SM: C’était des noms génériques pour désigner nos rôles respectifs.

Abordez-vous le sujet des rôles de genre?

JS: Tout à fait.

Comment?

SM: Pour moi, c’est une attitude calme et posée. Le rôle que j’emprunte à travers les paroles des chansons traduit aussi un sentiment de légitimité et de pouvoir en tant que femme, et peut-être même un ton acerbe, comme si je dénigrais quelqu’un.

Pensez-vous que la tendance de la dominatrice va durer?

SM: Oui.

JS:Je pense que la soumission et la dominance devraient toujours être cycliques.
SM: Quand on est devant le micro, on devient quelqu’un d’autre. Il peut y avoir une part de fiction, mais aussi une part autobiographique et sincère. Dans Slow, la dernière chanson, il y a un passage où je dis « I’m beginning to act like a whore, and I’m always checking my score. » (« Je commence à me conduire comme une pute, et je regarde toujours mon score »). Je me suis sentie vulnérable en disant une chose pareille, parce que je savais que ça allait sortir sous une maison de disques et être acheté et assimilé par un public. Je ne faisais pas référence à la figure de la prostituée uniquement en termes d’actes sexuels, mais aussi pour parler d’une création que les gens écoutent, achètent, assimilent.

JS: La chanson Sense, par exemple, parle d’un personnage qui se trompe de combat. Quelqu’un qui vise la réussite financière, mais qui en fait devient de plus en plus désespéré et déséquilibré.

Comment avez-vous créé ce personnage? Parce qu’honnêtement, je n’avais aucune idée si la personne que j’étais sur le point de rencontrer était un fan de hip-hop scandinave, ou encore un mec de Washington D.C. ou de Santa Cruz– d’où venez-vous?

JS: Moorpark, Californie.

« Je pense qu’à chaque fois qu’on enregistre sa voix avec un micro, on crée une part de fiction. »
—Justin Swinburne

Je sais bien que c’est une question complexe.

JS: Je ne sais pas. Je pense qu’à chaque fois qu’on enregistre sa voix avec un micro, on crée une part de fiction. Mais je ne sais pas. Sense est une chanson qui a tendance à me mettre mal à l’aise, pour un certain nombre de raisons. À bien des égards, on pourrait l’interpréter comme une sorte de vaudeville. Elle parle d’argent, et semble être une parodie d’un morceau de hip-hop. Mais en fait, elle parle de masculinité et de désespoir. De la peur d’être perçu comme quelqu’un de pauvre, et d’orienter cette peur dans la mauvaise direction. J’étais complètement fauché au moment de l’écrire, et c’est vraiment ce que je ressentais.

Pour conclure, que pensez-vous de Mariah Carey? Je suis pour.

SM: J’ai grandi en écoutant Mariah Carey. Son registre vocal est bien entendu impressionnant, mais j’ai aussi toujours admiré son aptitude à changer de personnalité. Par exemple, Fantasy et Always Be My Baby sont des chansons joyeuses et légères, comme si elles étaient chantées par une adolescente à propos de son petit ami. Mais par ailleurs, il y a des chansons comme My All et I Still Believe qui sont très matures, sérieuses et profondes, qui semblent être interprétées par une femme d’expérience. Ces deux styles et tout ce qui se situe entre les deux forment une œuvre et un personnage intéressants.

  • Interview: Zoma Crum-Tesfa
  • Creative Direction: Haw-lin
  • Music: 18+