Sous observation : la basket CDG VaporMax

Bien que la VaporMax soit en phase avec la vision de transparence qui a inspiré la collection printemps-été 2017 de CDG, Rei Kawakubo s’est faite avare d’explications quant à sa genèse. Même (absence de) son de cloche du côté de Nike. Affranchie de justifications ou de quelconques anecdotes de souvenirs d’enfance, cette chaussure se suffit à elle-même.

Dans ce monde profondément référentiel qui est le nôtre, il est plus facile de clamer le mot « innovation » à tout vent que de faire preuve d’inventivité, tout comme il est plus facile de revendiquer son appartenance à une culture que de lui donner naissance. Pas étonnant, donc, que nous faisions face à une pénurie de « vraie » nouveauté. Pas étonnant non plus que la première collaboration de CDG avec Nike remonte en 2000, à un moment où les créations de la griffe étaient si outrageusement avant-gardistes qu’elles ont sous-performé au chapitre des ventes, et où la marque sportive repoussait les limites du bizarre avec sa collection culte Alpha Project. Les astres étaient alignés pour que se produise leur fructueuse rencontre.

Quand la basket Air Max 1 a été lancée en 1987, l’idée était de faire concurrence aux adversaires de la marque en misant sur le système Nike Air. Avec son design et sa présentation révolutionnaires, c’était le tout premier modèle à utiliser un système de coussins d'air visibles. Plusieurs prototypes avaient expérimenté l'idée de marcher sur des bulles d'air, mais ce concept ne s’était jamais concrétisé aussi visiblement auparavant. La Air Max 1 se distinguait haut la main face à ses concurrents, tant par sa forme que par sa palette de couleurs. La même année, le futur époux de Rei, Adrian Joffe, a fait son entrée chez CDG en tant que directeur commercial; la collection Noir a été lancée; le magazine bi-annuel de la marque a vu le jour; et Jean-Michel Basquiat a défilé pour eux. Les deux marques ont été fondées dans les années 60 (Nike en 1964 sous le nom de Blue Ribbon Sports, et COMME des GARÇONS en 1969), mais c’est dans les années 80 que leur popularité a explosé, alors que CDG faisait ses débuts à Paris en 1981 et que Nike frappait un gros coup en lançant la collection Air Jordan en 1985, avant de revenir à la charge avec sa campagne Nike Air.

Aujourd’hui, cette édition particulière propose un curieux mélange de minimalisme et d'extravagance. À la base, la collection Air Max a toujours été axée – comme son nom l’indique – sur l’extrême, mais elle doit aujourd’hui s’adapter à un marché qui s’attend désormais à plus, pour moins. La VaporMax est sans contredit l'un des modèles Nike fabriqués en série les plus disruptifs depuis des années. En outre, la décision d’avoir opté pour un design sans lacets – tout particulièrement pour COMME des GARÇONS –, constitue un geste radical comparable à celui qu’avait osé Junya Watanabe MAN en 2008 en revisitant la classique basket Dunk pour en faire une botte motard zippée en cuir. Les récentes itérations approuvées par CDG, comme l’ajout de panneaux en plastique transparent sur un autre modèle Dunk (pour une collection inspirée par les vêtements invisibles du conte Les habits neufs de l'empereur), ou encore les pics de caoutchouc de la basket DSM New York x LunarTerra Arktos, nous avaient déjà amenés à revoir nos attentes. La métamorphose de la VaporMax en tant que chaussure à enfiler rehausse subtilement mais sûrement le design de son homologue lacée. Alors que le branding des partenaires précédents se limitait à une discrète mention sur la doublure intérieure, COMME des GARÇONS s’affiche ici fièrement sur la tige aussi. Avec son design clair et assumé, la VaporMax demeure étonnamment accessible malgré son caractère original – voire étrange.

La rétrospective de Rei Kawakubo présentée au Met cet été fut certes mémorable, mais il en est clairement ressorti que COMME des GARÇONS n’était pas particulièrement intéressé à commémorer ses triomphes passés. La marque comme les autres joueurs étant intervenus dans son parcours ont tendance à faire court et simple, et à se contenter du nécessaire. La basket Nike VaporMax x COMME des GARÇONS a été lancée à Paris en octobre 2016 aux côtés de la Air Moc (une basket haute blanche) lors d’un défilé présenté dans la foulée de la collection printemps-été 2017. Encore une fois, CDG a démontré qu’elle excelle à ouvrir des portes aux autres, mais qu’elle préfère se tenir à l’écart de la meute.

Les refontes haut de gamme, comparativement aux rééditions pures et dures, ravivent des sentiments révolus et nous ramènent un moment où les bizarreries comme la curieuse Air Woven étaient porteuses d’un certain courant culturel. Même les consommateurs qui n’étaient encore que des gamins à l’époque se sentent interpellés par l’esprit du début des années 2000. Peut-être avons-nous atteint l’apogée de la nostalgie. Difficile de trouver un quelconque élément du passé qui n'ait pas déjà été ressuscité, disséqué, retravaillé ou remanié dans le cadre d’une collaboration. Chaque aspect de la culture semble désormais participer à une quête de contenu, de profits et de clics. Quand ces rééditions de rééditions ont atteint le point de saturation, un changement s’imposait. Il était temps de sortir des sentiers battus et de prendre un nouveau virage. Certes, les prédécesseurs de la VaporMax - comme la Air Max 360 avec ses grosses bulles d’air, lancée en 2006 – affichaient fièrement leurs références au passé. La présente collection s’inspire des principes mêmes qui ont justifié le tout premier remaniement de la Air Max originale, et non de son esthétique. Lassés d’avoir passé les dernières décennies à nous vautrer dans la nostalgie, nous semblons être prêts à regarder devant.

Car après tout, l’avenir est tout ce qu’il nous reste.